1766-12-10, de Étienne François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous envoie votre pièce; vous savez que rien n'est si fautif que mon jugement, puisque je me suis trompé sur Tancrède.
Ces Scythes me paraissent infiniment meilleurs que nos Chevaliers; la pièce m'a fait en tout un grand plaisir, le rôle persan est admirable; je voudrais qu'Obéïde fût plus passionnée, qu'elle dît son secret plus tôt et qu'elle regrettât vraiment son amant dans les 1ers actes, en le blâmant de lui avoir mis la main sous la jupe; elle paraît au contraire regretter les joujoux d'Ecbatane. Il faut à un amant aussi honnête, aussi courageux, aussi amoureux, une femme plus passionnée; il y a des négligences, dans le style et dans la versification, qui ne vous conviennent pas; je ne doute pas qu'en relisant vous ne les corrigiez; il n'est pas possible que ma marmotte se laisse aller à construire comme ces petits messieurs qui osent faire des tragédies.

Il y a quelques vers qui cognent trop le nez sur les Suisses; enfin je retrancherais les imprécations de Obéïde, les Hébreux, etc.

Je ne donnerais la pièce que dans un an, et je vous assure qu'elle aura un succès tel que mêrite d'avoir tout ce que produit ma marmotte, à qui je présente mes hommages en même temps que j'ose lui proposer mes corrections.