1760-08-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Baron Friedrich Melchior von Grimm.

Il faut qu'il entre, mon adorable philosophe, qu'il entre, qu'il entre vous di-je.
Contrains les d'entrer.

Notre cher Abacuc, du courage, je vous en prie. La chose vous parait impossible? Je vous déjà dit que c'est une raison pour l'entreprendre. Nous réussirons; croyez moy, ce sera un beau triomphe. Mais que Diderot nous aide et qu'il n'aille pas s'amuser à grifonner du papier dans un temps où il doit agir. Il n'a qu'une chose à faire, mais il faut qu'il la fasse. C'est de chercher à séduire quelque illustre sot ou sotte, quelque fanatique sans avoir d'autre but que de luy plaire. Il a trois mois pour adoucir les dévots. C'est plus qu'il ne faut. Qu'on l'introduise chez madame  . . . ou madame  . . . ou madame, lundy, qu'il prie dieu avec elle mardi, qu'il couche avec elle mercredy; et puis il entrera à l'académie tant qu'il voudra, et quand il voudra.

Comptez qu'on est très bien disposé à l'académie. Je recommande surtout le secret. Que Diderot ait seulement une dévote dans sa manche ou ailleurs; et je réponds du succez. On s'est déjà ameuté sur mes pressantes sollicitations. Travaillez sous terre touts tant que vous êtes. Ne perdez pas un moment, ne négligez rien. Vous porterez à l'infâme un coup mortel, et je vous donne ma parole d'honneur de venir à l'académie le jour de L'Election. Je suis vieux. Je veux mourir au lit d'honneur.

Ma belle philosophe sait elle que je fais bâtir une église? Oui une église d'ordre dorique à Fernex? O Abacuc criez sur les toits cette nouvelle consolante. Si Diderot veut y venir dire la messe je la servirai.

Ma chère philosophe, voicy une autre histoire, une autre négotiation. N'esce pas mr Faventine qui a le départment du domaine? Mr de Lépinay ne peut il pas quand il rencontrera ce terrible Faventine au conseil des fermes, luy dire monsieur ne savez vous rien de nouvau sur le pays de Gex? ne vous a t'on rien dit touchant certains arrangements avec le Roy, n'a t'il rien transpiré? Alors mr Faventine dira, oui ou non; et ce oui ou ce non, vos belles mains me l'écriront.

Mais qu'il entre, qu'il entre, qu'il entre à L'académie. J'ay cela dans la tête voyez vous! Ma belle philosophe, je vous ai dans mon cœur. Il est vieux mon cœur, mais il rajeunit quand je pense à vous. Tronchin dit que vous avez de gros têtons. Qu'il entre vous di-je, et détruisons l'infâme.Tel est mon avis et qu'on ruine Cartage disait Caton, qui n'était pas si vieux que moy.

O belle philosophe! o Abacuc! je vous salue en Belzébuth.

V.