1760-04-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Henri Watelet.

Je ne sçais Monsieur si c'est par un amateur que vous m'avez fait parvenir le beau présent dont j'ay l'honneur de vous remercier.
Mais cet amateur ne s'appelle pas il far' presto. Je n'ay reçu que depuis trois jours ce poème instructif et agréable, ces leçons de maître données en prose avec modestie, ces belles estampes dessinées de votre main qui ajoutent un nouveau mérite à l'ouvrage, et qui font un des plus prétieux monuments des beaux arts.

Je ne sçais pourquoy il y avait tant de grands peintres dans le seizième siècle, et que nous en avons aujourdui si peu. J'imagine que les manufactures de glace, les magots de la Chine et les tabatières de cent louis d'or ont nui à la peinture. Puisse votre ouvrage monsieur former autant de bons artistes qu'il vous attirera de louanges. Je voudrais trouver quelque Claude Lorrain qui peignit ce que je vois de mes fenètres. C'est un vallon terminé en face par la ville de Geneve qui s'élève en amphitéâtre. Le Rone sort en cascade de la ville pour se joindre à la rivière d'Arve qui descend à gauche entre les Alpes. Au delà de l'Arve est encor à gauche une autre rivière, et au delà de cette rivière quatre lieues de paysage. A droitte est le lac de Geneve, au delà du lac les plaines de Savoye; tout l'horison terminé par des collines qui vont se joindre à des montagnes couvertes de glaces éternelles éloignées de vingt cinq lieues, et tout le territoire de Geneve semé de maisons de plaisance et de jardins. Je n'ay vu nulle part une telle situation. Je doute que celle de Const͞inople soit aussi agréable.

Si mr Hubert voulait s'amuser à peindre ce beau site, j'en ferais encor plus de cas que de ma découpure en robe de chambre.

J'ay l'honneur d'être avec bien de la reconnaissance et l'estime la plus respectueuse

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire