1760-09-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Monsieur l'habitant du marais que n'envoyez vous chercher des billets de loge et d'amphitéâtre chez mr Dargental?
Pourquoy dans les beaux jours ne vous donnez vous pas le plaisir honnête de la comédie? Je trouve un peu extraordinaire que messieurs les comédiens du roy et les miens vous aient ôté votre entrée. Qu'ils vous en privent quand ils jouent les philosophes, à la bonne heure, mais il me semble que ceux à qui j'ay fait présent de plusieurs pièces de téâtre et à qui j'abandonne le profit de la représentation et de L'impression devraient vous avoir invité au petit festin que je leur donne.

Je vous prie mon cher amateur des arts de vouloir bien ajouter à tous vos envois, la traduction du père de famille ou du vero amico de Goldoni par Diderot avec la préface et l'épître à me de la Mark.

Si l'écosseuse est plaisante comme on me le mande, ayez la charité de la mettre dans le paquet car il faut rire. C'est aussi pour rire que je voudrais savoir positivement si c'est l'ami Gauchat qui est l'auteur de l'oracle des philosophes et si ce Gauchat n'est pas un de ces ânes de Sorbonne qu'on appelle docteurs.

On dit qu'il n'y a pas trop de quoy rire à nos affaires de terre et de mer. Il faut s'éguaier avec les lettres humaines et inhumaines pour ne pas se chagriner des affaires publiques. Nous avons aux Délices mr le duc de Villars et un marquis d'Argence, grands amateurs de la science guaie. Ce marquis d'Argence vaut un peu mieux que le Dargence des lettres juives. Nous jouons la comédie, nous faisons des noces; madame Denis joue à peu près comme mademoiselle Clairon, excepté qu'elle a dans la voix un attendrissement que Clairon voudrait bien avoir. Mademoiselle de Bazincour, excellente confidente, et vous un grand nigaut, mon cher ami de n'être pas aux Délices ou à Ferney. Et valé.

V.