à Paris 14 avril 1760
Quand on a le bonheur d'être dans un pays libre, mon cher et grand philosophe, on est bien heureux; car on peut écrire librement pour la défense des Philosophes, contre les invectives de ceux qui ne le sont pas.
Quand on a le malheur d'être dans un pays de persécution et de servitude, au milieu d'une nation esclave et moutonnièere, on est bien heureux qu'il y ait dans un pays libre des Philosophes qui puissent élever la voix.
Quand les Philosophes persécutés auront lu l'apologieécrite en leur faveur par le Philosophe libre, ils remercieront Dieu & l'auteur.
Voilà, mon cher Philosophe, ma réponse à une petite feuille que je viens de recevoir de Geneve. Ne sauriez vous point par hazard qui m'a fait ce présent-là? Ce ne sauroit être vous, car depuis quatre jours tout le monde veut ici que vous soyez mort; on vous désignoit même à 4 lieues d'ici l'ancien Evêque de Limoges pour successeur; votre Eloge auroit été fait par un Prêtre, et cela eût été plaisant; j'aime pourtant mieux ne pas entendre votre Eloge sitôt, dût il être fait par le frère Bertier ou par mr de Pompignan.
Il faudroit imprimer à la suite du discours de notre nouveau confrère une Epitre que je viens de recevoir du Roi de Prusse contre les fanatiques. Les dévots, les Jésuites, & notre st Père le Pape y sont bien traités. A Dieu, mon cher et grand Philosophe, vivez longtemps, & portez vous bien, tout mort que vous êtes. Mes respects à madame Denis.
P. S. Il ne manquoit plus à la Philosophie que le coup de pied de l'âne. On va jouer sur le théâtre de la Comédie françoise une pièce intitulée, les Philosophes modernes. Préville doit y marcher à quatre pattes pour représenter Rousseau. Cette pièce est fort protégée. Versailles la trouve admirable.