à Paris le 9 mars [1761]
Je suis, mon cher & illustre maître, comme S. Dominique le Cuirassé ou l' Encuirassé, qui se donnoit la discipline pour les péchés des autres; je voudrois m'en être donné mille coups même en récitant, comme lui, le Pseautier, et laver l'académie de l'opprobre dont elle vient de se couvrir.
Je ne voudrois pas jurer qu'à la réception de l' archidiacre de st Malo, le public ne nous accueillit avec des sifflets; il ne feroit que son devoir. En attendant je proteste pour ma part contre cette honteuse acquisition, & je déclare à qui veut l'entendre que l'abbé Trublet n'a point eu ma voix; je le lui dirai à lui même, si je lui parle jamais, car cela n'est pas trop sûr quoique je sois condamné aujourd'hui à le voir souvent. Remerciez, je vous prie, de la belle acquisition que nous venons de faire, votre ami d'Olivet, le petit duc de Nivernois, aussi chafoin d'esprit que de corps, et qui nourrit contre les gens de lettres une haine recuite et hypocrite, l'importune guêpe la Condamine, Mairan le protecteur né de tous les plats sujets, par la raison qu'on aime ceux dans qui on se retrouve, & probablement le bas & insolent Duclos, qui a dans tout ceci une conduite bien tortueuse. Finissons, car cela me fait mal; & je veux être gay, quoique j'enrage.
Non vraiment, je ne prétends pas vous condamner à ne point dire en 1761 ce que Louis 14 a fait de bon ou de mauvais en 1662; je serois un joli garçon d'entendre si mal les intérêts du Public & les miens; mon intention a été de dire qu'il ne faut point écrire l'histoire de son tems; c'est ainsi que j'ai lû à l'académie, c'est ce que porte la copie que j'ai sous les yeux; il faut que le copiste se soit mépris en écrivant son siècle au lieu de son temps, comme votre imprimeur hérétique, qui ne va pas plus à la messe que vous & moi, a mis le 23 décembre au lieu du 24.
Nous nous rapprocherons, je crois, fort aisément, sur l'idée d'écrire l'histoire à rebours; je pense que chaque partie de l'histoire, prise en particulier, doit être écrite dans le sens naturel, qu'il ne faut point faire à rebrousse-poil l'histoire de Cartouche & des Jésuites, des Capucins et des académies; mais pour l'histoire générale, et surtout la partie de l'histoire qui nous touche le plus, je crois fermement, qu'il faut, sinon l'écrire, au moins l' enseigner à rebours aux enfans, & c'est à peu près tout ce que j'ai voulu. Car comme vous dites fort bien, il n'y a guères que les louanges qu'il faille presque toujours prendre à rebours, d'autant plus qu'en cette matière, le juste, comme vous savez encore très bien, tombe sept fois par jour.
Non, mon cher ami, je ne serai jamais d'avis qu'on se vante d'aller à la messe, pas plus que de n'y point aller; les gaufres ne sont point faites pour être adorées avec ostentation, ny pour être mangées autrement qu'en bonne fortune.
Vraiment sans doute, il importoit beaucoup à la chose publique que le Père de famille réussit.
Peutêtre, si on m'avoit consulté, n'aurois-je pas été trop d'avis de risquer cette bataille; mais j'aurois été désolé que nous l'eussions perdue. Ce succès a fait voir, comme vous l'avez très bien remarqué, que le public est pour nous. Notre part n'est pas mauvaise, mais aussi c'est tout ce que nous avons; car soyez sûr que l'acharnement des fripons puissans, & le dévouement des fripons lâches, pour écraser la philosophie, est plus fort que jamais; c'est à la réunion des uns & des autres que nous devons le choix de l'abbé Trublet, & il faut avouer que suivant ces vues on n'en pouvoit faire un meilleur. Je ne doute pas que l'abbé le Blanc n'ait grande part au gâteau que l'abbé du Resnel laisse encore à donner, ou plutôt à jetter aux chiens.
Malesherbes est un polisson, & Omer un impudent; il faudroit faire donner des croquignoles à l'un, & des coups de verge à l'autre par les laquais des philosophes, comme vous le désirez; mais, les philosophes ont peu de laquais, ou n'en ont point; & les laquais de nos ennemis sont les plus forts, ainsi que leurs maîtres.
Apropos vraiment, j'ai deux querelles sérieuses à vous faire. La première est d'avoir souffert qu'on vous adressât une lettre injurieuse et pleine de personnalités contre le Roman de Rousseau, & contre lui. Cela n'est pas digne de vous; vous ne sauriez croire combien cette foiblesse est désaprouvée par ceux même qui blâment le plus le Roman de Rousseau et sa conduite.
Le second reproche que j'ai à vous faire, c'est d'avoir, dans vôtre Epitre à melle Clairon, dit trop de bien de quelques gens de la cour qui ne s'en soucient guères, et trop de mal des gens de lettres, qui s'en soucient. Pourquoi les enfoncés vous dans la fange, où ils ne se mettent déjà que trop eux mêmes? Qui osera parler avec dignité de cet Etat, si mr de Voltaire l'avilit? & que diriez vous du Roi de Prusse, si dans une Epitre à ses officiers, il tournoit leur métier en ridicule?
J'oubliois de vous dire que l'avocat Moreau, l'auteur des Cacouacs, est sur les rangs pour l'académie. Cela s'appelle le coup de pied de l'âne.
Adieu, mon cher & illustre confrère, pleurez sur Jerusalem. Si vous & moi n'étions pas de l'académie, je voudrois qu'après avoir pleuré, vous ajoutassiez comme Orosmane
A dieu, adieu, il n'y a de bon que de se moquer de tout; & c'est de quoi je m'acquitte assez bien.
On vient de me montrer de jolis vers de vous à mr Diodati; j'estime la langue françoise comme la nation; elle m'impatiente souvent, & d'ailleurs il y a trop de faquins qui l'écrivent.
P.S. Un de mes amis & des vôtres a fait un extrait de mon morceau pour le journal encyclopédique.