ce 22 may [1738]
Il m'est bien dificile de v͞s Exprimer Monsieur combien je suis fâchée de perdre l'espérance de v͞s voir.
Votre séjour icy étoit aussi nécessaire à mon plaisir qu'à mon instruction. Ie ne suis point Etonnée de la préférence que v͞s donnés à m͞e votre sœur, mais i'en suis très affligée. Ie partage l'inquiétude que sa santé v͞s donne, et ie sens tout ce que ie pers en perdant l'espérance de v͞s posséder. Mais ne pouriés v͞s point, quand v͞s aurés satisfait votre amitié fraternelle, donner quelque tems à la mienne? Ne m'ôtés pas ie v͞s suplie cette perspectiue, et laissés moi m'en flater. J'espère du moins que v͞s m'informerés de vos projets, et de vos marches, v͞s deués être bien persuadé que ie partage sensiblement les moindres choses qui v͞s intéressent.
Mr de Voltaire v͞s escrit, il v͞s parle de votre liure, ie ne puis rien ajouter à tout ce qu'il v͞s en dit. Mon admiration n'est pas moins viue que la sienne, mais elle n'est pas si flateuse. N͞s auons été au désespoir en voyant le jugement de l'académie, il est dur que le prix ait été partagé et que mr de V. n'ait pas eü part au gâteau. Sûrement ce mr Fuller qui est nomé, est vn leibnisien et par conséquent vn cartesien. Il est fâcheux que l'esprit de parti ait en[core] tant de crédit en France. Comme mr[de Voltaire] ne v͞s en parle point dans sa lettre ie v͞s prie de ne lui point dire que ie v͞s en ai parlé.
I'attens auec bien de l'impatience quelques esclaircissemens que v͞s m'aués promis sur votre mémoire de 1732. I'en ay vn grand besoin car quand j'ay vne idée dans la tête qui ne peut se débroüiller toutes les autres idées s'enfuient, ie me casse la tête, et ie ne comprens rien. J'espère que v͞s me guérirés de cette maladie auant votre départ p͞r st Malo, mais il n'i a que votre présence qui puisse me guérir de l'enuie extrême que i'ai de v͞s voir.