à Pontoise le 9 juillet [1761]
J'ai reçu, mon cher Philosophe, votre petit billet, en partant pour la campagne; il est vrai que je suis un peu en retard avec vous; prenez vous en à un gros livre de géométrie, tout plein de calculs, que je fais imprimer actuellement, et dont j'espère être bientôt débarassé.
Je ne sais pas de la part de qui vous m'avez envoyé le Grizel; ce Grizel est un drôle de corps; si maitre Huerne avoit aussi bien plaidé, les rieurs auroient été pour lui; mais ni maitre Huerne, ni maitre le Dain, ni maitre Omer, ne sont faits pour avoir les rieurs de leur côté. Les Jésuites même ne les ont plus depuis qu'ils se sont brouillés avec la Philosophie; ils sont à présent aux prises avec les pédants du parlement, qui trouvent que la société de Jesus, est contraire à la société humaine, comme la société de Jesus trouveroit de son côté, que l'ordre du parlement n'est pas de l'ordre de ceux qui ont le sens commun; & la philosophie jugeroit que la société de Jesus & l'ordre du Parlement ont tous deux raison.
Je ne sais ce qui arrivera du laquais de Venus; j'ai bien peur que ce ne soit un laquais de louage qui ne lui restera pas longtemps; d'autant que ledit laquais n'a pas suivi sa maitresse dans son passage sur le soleil; si Fontenelle n'étoit pas mort, il vous dirait làdessus les plus jolies choses du monde; par exemple que Venus a trop de satellites sur la terre pour en avoir besoin dans le ciel, et que les vieux galans qui ne peuvent plus lui faire leur cour, regretteront le temps où Venus se promenoit toute seule dans le ciel, sans laquais, sans ajustement, de ses seules grâces ornée, &c. Son chancelier Trublet vous en dira davantage, pour peu que vous vouliez savoir le reste. Je vous dirai moi, plus sérieusement, que nous attendons les observations faites aux Indes & en Siberie pour savoir par la comparaison avec celles de France à combien de postes nous sommes du soleil; & s'il nous faut quelques jours de plus ou de moins pour y arriver, que nous ne l'avons cru jusqu'ici.
Je n'aurai pas besoin d'ameuter l'académie françoise sur l'édition de P. Corneille. Il n'y a aucun de nous qui ne se fasse un plaisir et un devoir de souscrire, & quelques uns même pour plusieurs exemplaires. Cette entreprise fera beaucoup d'honneur à l'entrepreneur, à l'académie, et à la nation; et je me flatte qu'elle avertira enfin l'académie de ce qu'elle doit faire, de donner des éditions grammaticales des auteurs classiques.
A dieu, mon cher maitre, que le ciel vous tienne toujours en joye. N'oubliez pas vos amis et vos admirateurs; je me flatte que vous me comptez parmi les premiers, et je prends la liberté de me mettre parmi les seconds. Je ne sais pas s'il en est de même du Professeur Formei, et s'il prendra cette qualité dans ses lettres aux journalistes, et dans sa bibliothèque impartiale, toute impartiale qu'elle prétend être. Vale iterum. Mes respects à made Denis.