1760-01-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Florence Pétronille La Live, marquise d'Épinay.

Ce n'est point à ma chère et respectable philosophe que j'écris aujourd'hui, c'est à la femme d'un fermier général.
Nous la supplions made Denis et moi de vouloir bien recommander le mémoire ci-joint. Nous nous flattons d'obtenir au moins quelque satisfaction.

Nous souhaiterions que messieurs les fermiers généraux eussent la bonté de nous faire communiquer le tarif des droits qu'on doit payer pour ce qu'on fait venir de Geneve au pays de Gex, avec injonction aux commis de ne point molester nos équipages et de laisser passer librement nos effets de Tournay, territoire de France, à Fernex, aussi territoire de France. Quant au nommé Croze, préposé par intérim au bureau de Saconex frontière, il ne paraît aucunement propre à cet emploi. La plupart des gardes sont des déserteurs, ou gens de très mauvaise conduite qui font continuellement la contrebande. Ils ont dévasté mes forêts et c'est là la véritable source de leur vexation. Il paraît convenable que messieurs les fermiers généraux changent cette brigade, presque tous mes gens de campagne sont des Suisses qu'il serait impossible de retenir. Ils prendront infailliblement querelle avec la brigade de Saconex et je crains de très grands malheurs.

Ma chère philosophe, je vous supplie instamment d'engager m. d'Epinay à faire rendre ce service important à la province et à nous.

Il y a sans doute un plus important service à rendre, c'est de s'accommoder avec la province, pour le sel et tous autres menus droits.

Une compagnie offre de donner aux fermes générales environ cent mille écus. Il est constant que les fermes du roi ne tirent pas 2600lt par an tous frais faits, du pays de Gex. Ils ont 80 commis qui absorbent tout le profit. Ces commis supprimés il reste tous les bureaux sur le chemin de Lyon, de Franche Comté et Bourgogne, dans des postes inaccessibles, qu'on peut renforcer encore. Ce qu'on propose est le bien des fermes du roi encore plus que de la province.

Si m. d'Epinay veut se charger de venir traiter avec nous, il sera reçu comme un libérateur. Voilà ce que nous espérons de plus consolant, Madame, en cas que vous vouliez bien être du voyage. Vous viendrez répandre ici des bienfaits comme vous êtes accoutumée à y répandre des agréments. Vous reverrez un pays où vous êtes adorée, tout notre bonheur viendra de vous.

Une autre fois je vous parlerai d'Encyclopédie, mais aujourd'hui je ne suis plus que citoyen, d'un pays malheureux que j'ai pris en affection et pour lequel je vous demande vos bontés.

V.