8 [février 1760] aux Délices
J'ay reçu monsieur vos deux lettres de Paris du 2 février.
Ce sont pour moy deux nouvaux sujets de remerciement. L'affaire des sbirres de Saconex est une affaire assez grave. Ces brigands désolent le pays de Gex et molestent baucoup celuy de Geneve que je regarde comme le mien. L'insolence et le délit de ces malheureux est aujourdui assez bien constaté puisque le receveur et le contrôleur du bureau sont venus l'un après l'autre me signer un désaveu de leur entreprise, et un aveu de leur malversation. Ils confessent qu'il y a eu un procez verbal antidaté. C'est un crime de faux qu'ils avouent. J'ay envoyé leurs déclarations en original à l'intendant de la province, et copies figurées aux fermiers généraux. Mais comme il n'est point de mal dont on ne puisse tirer un bien j'ay représenté aux fermiers généraux l'état du pays, l'inutilité de leurs brigades de 81 coquins pour ne rien garder. Enfin je leur propose cent mille écus de concert avec notre amy Labat pour opérer la délivrance de cette petite province qui ne leur rapporte rien du tout. On forme une compagnie qui achètera le sel des fermiers généraux et qui le fera distribuer dans le pays. Les mesures sont prises par le subdélégué de Gex, sindic de la province; l'intendant aprouve le projet. Notre baron de Grand Cour donne 150000lt. L'intérest sera de 10 à 12 pr % pendant trente ans. C'est un marché au quel tout le monde gagne. Il ne s'agit plus que de faire venir un fermier général sur les lieux pour conclure et signer. Mais je ne crois les affaires faittes que quand elles sont finies et non pas quand elles sont commencées.
Je connais l'homme dont vous avez la bonté de me parler. Il est vrai qu'il eut l'adresse de faire glisser dans le contract que tout ce qui se trouverait dans le châtau à ma mort luy apartiendrait. Mais il n'y trouvera que les murailles. Je suis actuellement en marché d'acheter à perpétuité, sa terre que j'avais achetée ad vitam. Il n'est pas encor bien sûr que ce marché s'exécute.
Ce qui parait plus certain c'est qu'on fera la campagne, c'est que les Anglais envoient 12 m. hommes en Allemagne et couvrent les mers de vaissaux. Voicy un dilemme dont je ne peux sortir, ou le gouvernem͞t de France avait besoin des impôts mis par le prédécesseur de M. Bertin, ou non. Si besoin avait comment peut on faire sans ces secours? Sinon, pourquoy avoir effarouché la nation par ces impôts!
J'ay peur qu'on ne subsiste aujourdui que par un crédit précaire que le premier malheur anéantira.
V. t. h. ob. str
V. de tout mon cœur