à Paris ce 22 décembre 1759
Le nouveau moine ou frère lay que vous venez de recevoir, mon cher & illustre maître, m'a été adressé il y a plusieurs années par une nièce de madelle Quinault, qui est mariée à Bourges, et qui me le recommanda.
Il me parut comme à vous assez bon diable, et d'ailleurs je lui trouvai quelques connoissances mathématiques; il présenta quelque tems après à l'académie des sciences un traité de Gnomonique qu'elle approuva, et qu'il m'a fait l'honneur de me dédier. Depuis ce tems il a été errant de ville en ville, & m'a écrit de tems en tems pour m'engager à le placer, sans que j'en aye pu trouver les moyens. Je suis fort aise qu'il ait trouvé un azile chez vous, & je crois que vous en pourrez tirer quelque secours. Au surplus je ne vous demande vos bontez pour lui qu'autant qu'il s'en rendra digne.
Je ne crois pas la paix si prochaine que vous, mais je la désire encor plus que je n'en doute; et je la désire pour mille raisons. Je suis bien las de Paris, mais seray-je mieux ailleurs? C'est ce qui est fort incertain. Vous avez choisi, comme Marthe, la meilleure part, mais vous êtes riche, & je suis pauvre. Je n'attens que la paix pour voyager, je tâterai de différenz pays, & quamprimùm tetigero bene moratam ac liberam civitatem, in eâ conquiescam. Peutêtre, quod deus avertat, finiray-je comme Scarmentado. On continüe toujours icy à nous persécuter, & à nous susciter tracasseries sur tracasseries; voilà encore une querelle d'allemand qu'on fait à Diderot et aux libraires au sujet des planches de l'Encyclopédie. J'espère qu'ils s'en tireront avantageusement; car pour le coup ils n'ont affaire ni au parlement, ni à la Sorbonne. A dieu, mon cher philosophe, quand je vous vois du port contempler les orages, je me rappelle ces vers de Virgile
Mes respects à madame Denis. Je vous embrasse de tout mon cœur.
à Paris ce 22 décembre