aux Délices par Geneve et non à Geneve, 9 xbre [1759]
Dès que Colini sera prest à partir madame je luy enverrai assurément une lettre pour L'Electeur palatin dont on prétend que le pays commence à être exposé aux visites des hanovriens.
Il faut avoüer que jusqu'icy la France ne sert pas trop bien ses amis. Je n'imiterai pas ce triste exemple, je servirai Colini de tout mon cœur. Vous me paraissez depuis longtemps madame détachée tout à fait de Marie Terese; les grandes passions s'usent. Celle que vous avez pour le roy de Prusse s'usera de même. Je crois avoir trouvé le secret de n'avoir aucune passion pour tous ces gens là; c'est d'être si occupé de mes moutons, de mes bœufs et de mes bleds que je n'ay pas le temps de m'intéresser aux rois. Je vous assure que la vie pastorale est un beau contraste avec la vie horrible qu'on mêne auprès d'eux, sans compter la mort ou la pauvreté, qu'on va chercher pour eux. La France a perdu cent mille hommes depuis trois ans, et àprésent elle n'a pas plus de vaissaux que de vaisselle. Notre or et notre sang inonde l'Allemagne. Qui conque avait des effets publics est ruiné. Il faut aimer ses moutons quand on en a. Mais si j'avais un Silhouete pour berger ils mourraient tous de la clavellée. Mr votre fils va t'il encor se ruiner et hazarder sa vie? où est il madame? Permettez que je l'assure de mon respectueux attachement ainsi que votre bonne et fidèle amie. Si vous avez autant de neige que nous, il faudra que le carnage cesse cet hiver, mais quand les malheurs de la France finiront ils? Tâchez d'être heureuse pour vous dépiquer.
Je suis à vos pieds pour ma vie.
V.