1759-06-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Je suis un peu malingre aujourd'huy, mon cher correspondant, mais je peux encor dicter que la dame du Coudray est insuportable.
Elle datte de Roüen, Elle demande une Lettre de change pour Roüen, la Lettre de change arrive; point de madame du Coudray. Ce n'est pas vôtre faute, ni la mienne; il faut attendre que cette dame donne de ses nouvelles, ou que la dame Eustache, la marchande de toile, écrive; nous n'avons rien à nous reprocher et son argent est tout prêt.

Voilà je crois l'ancien mémoire que vous redemandez. Hier, me portant moins mal, j'écrivis au ministre de S: A: E: palatine et lui dis que pour n'avoir jamais de difficultez il fallait que vous eussiez la bonté de me payer dorèsnavant, et qu'il y consentît; nous verrons ce que le Silhouette de Manheim répondra.

Est-il vrai que l'on va payer 4 £ par marc de sa vaisselle? Cette taxe ne fera pas fleurir la profession d'orfêvre. Voilà une sotte guerre dans la quelle il n'y a rien absolument à gagner, quelque chose qu'il arrive, et beaucoup à perdre. Je ne connais que les tartares qui ayent jamais eu raison de faire la guerre, c'était pour avoir de bon vin et de belles filles. Nous pourons prendre Madras, nous perdrons le Canada, et au bout de sept ou huit ans de guerre on sera de sept ou huit cent millions plus pauvre qu'au paravant. Je suis aussi plus pauvre, mais j'ai du foin, du bléd, du vin, des chevaux, des moutons, et quand je me porterai bien je monterai ma grasse ânesse avec la jolie selle que j'attends de vos bontés.

Je vous embrasse mon cher ami.

V.