1759-12-06, de Jean Marie Bernard Clément à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Si je ne savais pas que votre sagesse vous fait assés mépriser les petitesses des grands, pour n'en pas être susceptible; je ne serais pas surpris, que vous eussiés dédaigné de répondre à la lettre, que j'ai osé vous écrire; et où mon cœur vous a peint tout ce qu'il ressentait.
J'étais convaincu, quand ma main vous a tracés des caractères fidelles interprètes de mes sentimens, que la noblesse des vôtres ne vous permettrait pas, d'être insensible à la douleur d'un malheureux; et que vous saviés essuïer des pleurs, que l'infortune a fait couler; j'étais persuadé que l'on n'implore pas envain votre bonté; que vos bras s'ouvraient facilement, pour y donner un azile à l'innocence; que votre cœur enfin était encor plus grand que votre esprit. Voilà ce dont j'étais persuadé; dont je le suis Encore; et ce qui m'a enhardi à vous exposer ma triste situation, dans ma première lettre. Jugés à présent, monsieur, si votre silence peut ne pas m'affliger. Peut-être hélas! vous êtes vous imaginé, que vous me vêrriés païer votre amitié, vos bienfaits, par la plus noire ingratitude: que je serais assés lâche, assés criminel, pour n'en Etre pas plus reconnaissant. Ah! Monsieur, n'aïés pas, si vous le voulés, égard à mes autres prières; mais ne me faittes pas l'injure de soupçonner ainsi ma probité: c'est le seul bien qui me reste; c'est ce bien précieux, que je voudrais délivrer de la contagion généralle; vos soupçons le flétriraient; votre générosité, votre grandeur d'âme peuvent en conserver, en relever L'Eclat: ma tendresse, mon zèle, mon respect; voilà mes seuls biens: ils sont tous à vous, ils y seront toujours; quand même vous me refuseriés ce que je vous demande, avec tant d'ardeur; mais que vous n'étes pas en droit de m'accorder, quand, dis-je, vous me le refuseriés: je serais toujours convaincu que votre vertu le permet: que des raisons qui me sont inconnües vous y engagent: et je ne soupirerais alors qu'après le bonheur de les connaitre. Enfin Monsieur, quelques soient vos volontés, faittes les sçavoir à un jeune homme, que l'incertitude met dans l'état le plus triste; et qui ne vous en aimera pas moins quand vous ne recevriés pas les vœux, qu'il vous adresse.

Peutêtre, Monsieur, n'avés vous pas Reçüe ma première lettre. Si cela était; et que vous désirassiés la voir vous pouriés me le dire: voici mon adresse, à Clément fils chés son père procureur à Dijon derrière les Minimes.