1759-10-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Cette fois cy, mon cher Monsieur, je fais réponse le même jour que je reçois vôtre Lettre; j'en avais déjà envoyé une a la poste, intitulée à Messieurs Tronchin et Camp; Lettre par laquelle vous verrez à quel excez j'abuse de vos bontés et combien l'accadémie de Lézine est subjuguée par nos plaisirs.
Je ne sache point que Mr de Chauvelin doive aller à Genève, il ne fera probablement que passer par la ville pour se rendre à sa destination. Les cérémonies seraient trop onéreuses et trop gênantes s'il s'arrêtait dans la ville; j'aime bien mieux que le conseil mette le peu d'argent qu'il a, à nous faire de beaux chemins. J'ai mandé à cet ambassadeur qu'il devait vous voir en passant à Lyon, parce que vous êtes un homme excellent à voir, qu'il sera probablement ministre de la guerre un jour, et que je souhaitte que vous soyez lié avec lui.

A l'égard des douze mille livres, payables à Turin, je sçaurai incessamment le nom de la personne à qui il faudra les remettre directement; et s'il y a des frais cette personne les suportera.

Grand mercy de la saucière, il faut au bout du compte une saucière, pour faire manger des Truittes à un ambassadeur. Elle suffira; il faut bien faire quelque chose pour l'accadémie.

Grand mercy encor du chocolat, car nous n'en avons plus, et grand mercy des chiffons dont il est question dans ma requête à Messrs Tronchin et Camp; le tout sans oublier le meilleur vin de Beaujolais, le plus couvert, le plus savoureux, le plus ressemblant au bourgogne, le plus digne d'ètre bû avec vous.

Je suis le plus trompé du monde, ou les affaires du R: de P: vont bien mal; l'esprit de sédition est dans nos troupes, les officiers de nôtre belle Légion ont assassiné un de leurs camarades, en présence du Mal de Contades, nous n'avons pas la discipline des Légions romaines, nous ne sommes pas faits pour ressembler à ces gens-là. Ma nièce et moi nous vous réïtérons les plus tendres remerciements.

V.