1759-09-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

J'ai si mal aux yeux, Madame, que je ne peux avoir l'honneur de vous écrire de ma main; je suis aussi enchanté de la conduite de Mr le prince de Brunsvick envers Mr vôtre fils que je suis affligé de l'évènement fatal qui rend Mr le prince de Brunsvick si grand et les Français si petits.
Je me flatte, madame, que monsieur de Lutzbourg est actuellement auprès de vous. Si j'étais à portée d'écrire au vainqueur, si certaines circonstances ne m'en empêchaient, je le féliciterais assurément non pas sur sa victoire, mais sur la manière dont il en use. Il me semble qu'on ne doit que des sentiments de condoléance au Roi de Prusse, je le crois plus étonné d'être battu par les Russes que Mr de Contades ne l'est d'être battu par les Hanovriens. Le Roy de Prusse peut perdre son royaume, mais il ne perdra pas sa gloire; nous sommes dans un cas tout contraire. Ne m'oubliez pas, madame, auprès de Monsieur vôtre fils, ni auprès de Made de Broumat. Si je ne bâtissais pas un château qui me ruine, je serais actuellement à l'île Jar.

Conservez votre santé. Il n'y a plus que cela de bon.

V.