1758-10-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

Vos nouvelles de Choisi madame ne sont pas des plus fidèles.
On imagine à la cour de bien fausses consolations. Il est bien triste d'être réduit à feindre des victoires. Les combats du 26 et du 27 sont bons à mettre dans les mille et une nuits. Il est très certain que les russes n'ont point paru après leur défaitte du 25, et il est bien clair que le Roy de Prusse les a mis hors d'état de luy nuire de longtemps puisqu'il est allé paisiblement secourir son frère, et faire reculer l'armée autrichienne. Croiriez vous que j'ay reçu deux lettres de luy depuis sa victoire? Je vous assure que son stile est celuy d'un vainqueur. Je doute fort qu'on ait tué trois mille hommes aux anglais auprès de St Malo mais j'avoue que je le souhaitte. Cela n'est pas humain, mais peut on avoir pitié des Pirates?

La paix n'est pas assurément prête à se faire. Nous gémirons encor longtemps. A combien Strasbourg est il taxé? Pour nous nous ne connaissons ny guerre ny impôts. Nos Suisses sont sages et heureux. J'ay bien la mine de ne les pas quitter quoy que la terre de Craon soit bien tentante.

Adieu madame, je vous présente mes respects, à vous et à votre amie, et vous suis attaché pour ma vie.

V.