1759-10-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

Quand on a mal aux yeux, Madame, on n'écrit pas toujours de sa main.
Si je deviens aveugle, je serai bien fâché. Ce n'était pas la peine de me placer dans le plus bel aspect de L'univers. Eh bien, Madame, êtes vous comprise dans tous les impôts? vos fiefs d'Alzace sont-ils sujets à cette grèlle? n'ai je pas bien fait de choisir des terres libres, exemptes de ces tristes influences? Avez vous auprès de vous mr vôtre fils? n'a t'on pas au moins confirmé sa pension qu'il a si bien méritée par sa valeur et par sa conduitte dans cette malheureuse bataille? L'armée n'a t’-elle pas repris un peu de vigueur? Nous avons besoin de succez pour parvenir à une paix nécessaire. Je suis toujours êtonné que le roy de Prusse se soutienne. Mais vous m'avoüerez qu'il est dans un état pire que le nôtre. Chassé de Dresde et de la moitié au moins de ses Etats, entouré d'ennemis, battu par les Russes, et ne pouvant remplir son coffre fort épuisé: il faudra probablement qu'il vienne faire des vers avec moi aux Délices, ou qu'il se retire en Angleterre, à moins que, par un nouveau miracle il ne s'avise de battre toutes les armées qui l'environnent; mais il parait qu'on veut le miner, et non le combattre. En ce cas le renard sera pris, mais nous payons tous les frais de cette grande chasse. Je ne sçais aucune nouvelle de Paris ni de Versailles, je ne connais préque plus personne dans ce païs-là. J'oublie, et je suis oublié. Le mot d'oubli, Madame, n'est pas fait pour vous. Je vous serai attaché jusqu'au dernier moment de ma vie.a La Silhouete qui rogne les pensions en a pris pour luy une assez forte. Bravo.

V.