1759-08-27, de Count Ivan Ivanovich Shuvalov à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Nous Recevions la nouvelle d'une Victoire lorsque votre lettre m'est parvenüe.
Cette journée sembloit marquée pour me procurer touttes sortes de satisfactions. La Renommée vous aura sans doute appris, Monsieur, la gloire dont s'est Couverte L'armée de Sa Majesté Impériale mon auguste Souveraine: en dix neufjours deux Victoires, et celle ci beaucoup plus complette que la première. Nous n'avons pas encore de détail circonstancié, ainsi l'on ne peut estimer au juste la perte de l'ennemi; le Courier nous a seulement appris que la Bataille avoit duré dix heures, que L'armée Prusienne est totalement défaite; 176 Canons et trente drapeaux que nous avons pris en sont des gages certains, nous avons en outre fait 6000 Prisonniers et déserteurs, sans Compter les blessés qui sont tombés entre nos mains; ces témoignages anoncent une victoire Complette, et je la trouve d'autant plus glorieuse, Monsieur, que le Roi de Prusse Comandait en personne; mais malgré tout ce que cet Evénement a de flateur, je ne puis refuser des Larmes à tant de tristes victimes dont le sang arrose nos Lauriers, et je désire enfin qu'une Paix bienfaisante vienne bientôt terminer une guerre si longue et si sanglante. Que vous Etes heureux, Monsieur, dans le séjour tranquille où vous habités! Loin des troubles de L'Europe vous joüissés de vous méme. Je regrette beaucoup, autant par L'Intérèt sincère que je prends à votre santé que par le désir de voir avancer les annales d'un héros, qu'une fluxion sur les yeux ait suspendu le Cours de votre travail dont je suis on ne peut pas plus reconaissant. J'entre parfaitement, Monsieur, dans ce que vous me faites l'honneur de me dire au sujet du journal que je vous ai Envoïé: Il est très incomplet, et j'aurais voulu vous sauver l'ennui de feüilleter un receüil aride et chargé d'Inutilités, mais les recherches sur tous les objets que vous désirés sont très difficiles, j'en ai déjà fait avec beaucoup de peine, et je vais Les redoubler encore; sur tout pour répondre aux différentes questions que vous avés la Complaisance de me faire. Il est certain que le Public en lisant la vie du Monarque désirera particulièrement des traits qui peignent son âme, son goût, son humeur, son génie, ses vertus; ce tableau manié par un aussi grand Maitre fixera L'admiration générale, on doit vous Cautionner notre Reconnaissance. Je vois par ce que vous daignés faire, Monsieur, Combien vous avés à Cœur la gloire de notre Empire; c'est pourquoi je me suis pressé de vous informer de celle qu'il vient récemment d'acquérir; tout occupé de la Joïe publique, je m'y dérobe un moment pour vous assurer de celle que m'a causé votre Lettre, en vous priant de m'en réitérer souvent le plaisir, et d'Etre persuadé de la parfaite considération avec laquelle j'ai L'honneur d'Etre

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

J. Schouvallow