1774-07-19, de Henri Louis Lekain à Henri Rieu.

Je n'ai point perdu de vue, monsieur, et les politesses dont vous m'avez comblé, dans le peu de séjour que j'ai fait à Ferney, et les offres de service que vous avez bien voulu me faire dans toutes les occasions qui se présenteraient.
Je vous remercie de bien bon cœur des unes, et j'ose intercéder les autres dans une circonstances qui m'intéresse infiniment, et dans laquelle je juge votre ministère très assuré; voici donc sans plus grand préambule, de quoi il s'agit.

Ma maladresse ou ma négligence m'a empêché de suivre avec exactitude tout ce qui s'est imprimé à Genève, pour former la collection complète des œuvres de mr de Voltaire, in 8., et commencée par m.m. Cramer en 1756. J'ai en ma possession 30 volumes de cette édition, et je la juge très incomplète, puisqu'à mon compte elle doit en avoir 40 ou 45, y compris l'Encyclopédie.

Je vous avoue que je ne suis point assez riche pour acheter l'édition in 4.. Mr de Voltaire m'avait promis un exemplaire de celle de Lausanne, mais il a perdu de vue cet objet, et je suis bien éloigné de l'en faire ressouvenir au milieu de l'immensité de tracas qui l'occupent; je me réserve de lui en parler dans un moment plus calme, et quand il sera débarrassé de tous ses procès. Je ne veux point le troubler dans des occupations si sérieuses, et je me contenterai pour le moment de tâcher de compléter du mieux qu'il me sera possible, l'édition in 8. de m. m. Cramer dont j'ai la plus grande partie.

C'est pour ce bon office, monsieur, que j'ose réclamer vos bontés; vous voyez que mon motif est sage et honnête, je cherche à me procurer l'official de mon patron, et cela est bien naturel; je joins ici une note circonstanciée de tout ce que je possède, et si vous daignez la parcourir, vous en connaîtrez mieux tout ce qui me manque; s'il existe quelque moyen quelconque pour me le faire avoir, je vous en aurai la plus grande obligation de m'en donner avis; comme ces volumes détachés se sont donnés successivement, il est possible qu'il s'en trouve encore qui complèteraient ma collection.

Voilà, sans doute bien du tracas que je vous cause, mais en me servant de l'expression de Coucy: 'L'effet en est trop beau pour en blâmer la cause'. Recevez encore une fois toutes mes excuses et tous mes remerciements. Faites moi l'amitié de me rappeler au souvenir de tous ceux qui m'ont honoré de leur estime, et d'agréer les sentiments de respect et de reconnaissance avec lesquels

j'ai l'honneur d'être

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Lekain
Porte St Michel à Paris