Paris ce 13 may 1759
Vous ne m'avez pas bien lu, mon cher & illustre maître; je n'ai point dit que les sciences fussent plus redevables aux Français qu'à aucune autre nation; j'ai dit seulement, & cela est vrai, que l' astronomie physique leur est aujour-d'hui plus redevable qu'aux autres peuples.
Si vos occupations vous permettoient de lire ce qu'on a fait en France depuis dix ans, vous verriez que je n'ai rien exagéré. Depuis la mort de Newton, les Anglois ne font presque plus rien que de nous prendre des vaisseaux et de nous ruiner.
Ma Laubrusselerie auroit mieux valu si je l'avois faite auprès de vous, mais telle qu'elle est, je crois qu'elle ne sera pas inutile à la philosophie. Les fanatiques grinceront les dents, & ne pourront pas mordre; je ne leur ai donné que des coups de baguette, mais cela les préparera aux coups de bâton. Quant à vous, mon cher ami, frappez fort, vous êtes en place marchande pour cela; Exsurgat deus & dissipentur inimici ejus; car ces gens là sont autant les ennemis de dieu, que ceux de la raison.
J'eus il y a quelques jours la visite d'un fort honnête jésuite, à qui je donnai de bons avis. Je lui dis que sa société avoit eu grand tort de se brouiller avec vous, qu'elle s'en trouveroit mal, qu'elle en auroit l'obligation à leur beau journal de Trevoux, & à leur fanatique Berthier; mon jésuite, qui apparemment n'aime pas Berthier, et qui n'est pas du Journal, applaudissoit à mes remontrances. Cela est bien fâcheux, me disoit-il; oui, très fâcheux, mon R. père, lui répondis je, car vous n'aviez pas besoin de nouveaux Ennemis. Adieu mon très cher et très illustre maître, je recommande à vos bonnes intentions Et la Canaille jésuitique, & la Canaille Jansénienne, & la canaille parlementaire, & la canaille sorbonique, & la canaille Intolérante. Je vous embrasse de tout mon cœur.
Mes respects à made Denis.