1768-04-23, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher & illustre confrère, Mr le Marquis de Mora que je vous ai déjà tant annoncé, & que je ne vous ai pas annoncé autant qu'il le mérite, veut bien se charger de vous remettre cette lettre, dont il n'aura pas besoin quand vous aurez causé un quart d'heure avec lui.
Vous trouverez en lui un esprit et un cœur selon le vôtre, juste, net, sensible, éclairé, & cultivé, sans pédanterie, et sans sécheresse. Vous lui direz, mais dans un sens bien différent, ce que Timon disoit à Alcibiade: ah! que je serai content de vous voir à la tête des affaires! Vous me ferez raison de la canaille intolérante et superstitieuse.Mr le duc de Villa-Hermosa, qui voyage avec Mr le marquis de Mora, désire et mérite de partager avec lui la satisfaction de vous voir. Je vous l'ai dit, mon cher maître, vous me remercirez d'avoir connu ces deux étrangers; vous féliciterez l'Espagne de les posséder, & vous nous souhaiterez des grands seigneurs semblables à ceux là, au lieu de nos conseillers de la cour, imbécilles & barbares, de nos danseuses & de notre opéra comique. Sur ce, mon cher et ancien ami, je vous demande votre bénédiction, et je vous renouvelle les assurances de mon dévouement, & de ma sensibilité pour tout ce qui peut vous intéresser.