1759-05-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Héros du nord, je savais bien
Que vous avez vu les derrières
Des guerriers du Roy très crétien
A qui vous taillez des croupières.
Mais que vos rimes familières,
Immortalisent les beaux cus,
De ceux que vous avez vaincus,
Ce sont des faveurs singulières.
Nos blancs poudrez sont convaincus,
De tout ce que vous savez faire,
Mais les ons, les its et les us,
Aprésent ne vous touchent guères.
Mars, votre autre dieu tutélaire,
Brise la lire de Phébus,
Horace, Lucrece et Petrone,
Dans l'hiver sont vos courtisans.
Vos baux printemps sont pour Bellone,
Vous vous amusez en tout temps.

Il n'y a rien de si plaisant sire que le congé que vous avez donné datté du 6 novembre 1757. Cependant il me semble que dans ce mois de novembre vous couriez à bride abatue à Breslau, et que c'est en courant que vous chantâtes nos derrières. Le bel arrest du parlement de Paris sur le bon sens de Dargens, et sur la relligion naturelle pourait bien aussi avoir sa part dans l'histoire des cus, mais c'est dans le divin chapitre des torchecus de Gargantua. La besogne de ces messieurs ne mérite guères qu'on en fasse un autre usage. On a traitté àpeuprès ainsi à la cour les impertinentes remontrances que cette compagnie a faittes, on ne poura jamais leur reprocher la philosophie du bon sens. On dit que Paris est plus fou que jamais, non pas de cette folie que le génie peut quelquefois permettre, mais de cette folie qui ressemble à la sottise. Je ne veux pas, sire, avoir celle d'abuser plus longtemps des moments de votre majesté, je volerais les Autrichiens à qui vous les consacrez. Je prie dieu toujours qu'il vous donne la paix, et que son règne nous advienne. Car en vérité au milieu de tant de massacres c'est le règne du diable et les philosophes qui disent que tout est bien ne connaissent guères leur monde. Tout sera bien que vous serez à Sans Souci, et que vous direz:

Alors cher Cineas victorieux, contents,
Nous pouvons rire à l'aise et prendre du bon temps.