1759-03-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Baron Albrecht von Haller.

En bon genevois il faut, Monsieur, solder mon Compte avec vous. Vous avez donné copie de mes Lettres et des vôtres; celà n'est pas dans la règle des procédez; mais je vous le pardonne, parce que j'estime d'ailleurs tout ce que vous avez publié dans le monde.

Vous voulez toujours avoir raison, et moi aussi; c'est ainsi qu'on est fait; mais comme je sçais mieux que vous ce qui se passe dans mon âme (et c'est la seule chose que je sache mieux que vous) je vous proteste, je vous jure que je n'ai pas été altéré un instant de toutes les misères de prètraille et de Tipografie dont il a été question. Je suis venu à bout de ce que je voulais, c'est à ceux qui se sont attirez cette mortification, à être aussi sages qu'ils sont ennuyeux.

Ne soïez point étonné que Grasset ait eu une médaille de ce bon pape Benoit. Il lui a fait acroire qu'il imprimerait à Lausanne les énormes et inlisibles volumes de sa sainteté. Le père de Menou, jésuitte, lui avait bien fait acroire qu'il le traduisait; et il en a eu un bon bénéfice de deux mille Livres de rente; Grasset peut fort bien ètre pendu avec sa médaille à son Coû; je ne le souhaitte pourtant pas. A l'Egard de Servet, je vous estime assez pour croire que vous trouvez sa mort une cruauté de Cannibale. Vous êtes phisicien, et vous devez respecter celui qui a découvert le premier la circulation du sang; ce n'est pas assez d'être phisicien, je vous crois philosophe; et j'imagine que je le suis en étant parfaitement libre, et m'étant rendu aussi heureux qu'on puisse l'être sur la terre. Il ne manque à mon bonheur que de pouvoir vous rencontrer, et vous témoigner mes sentiments.

A l'égard d'un Lettre anonime très impertinente, vous m'aprenez qu'il y a eu dans le monde un sot nommé Atman, et que cet Atman l'a écritte; Dieu veuille avoir son âme.

Un autre polisson de polisson de prêtre m'écrivit une autre Lettre anonime quand j'eus fait présent de huit Louïs d'or et d'un cheval, à un officer suisse de Lausanne pour l'aider à faire sa Campagne; il me manda que je devais donner beaucoup plus. J'ai reçu plus d'une Lettre dans ce goût.

Il résulte de tout cela, Monsieur, qu'il y a d'étranges gens, et que peu ont l'esprit aussi bien fait que vous. J'aurais eu beaucoup plus de plaisir à vous entretenir de phisique, et à m'instruire avec vous qu'à vous parler de toutes ces pauvretés.a Vous devez les mépriser autant que je les dédaigne. Je vous souhaitte autant de plaisir dans votre terre de Roche que j'en ay dans les miennes, et je me flatte qu'un homme qui a autant d'estime pour vous que j'en ay doit avoir quelque part à vos bontez.

Le tout sans cérémonie, v. t. h. ob. serv.

V.