1758-12-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bernard Joseph Saurin.

Ah ah vous êtes donc de notre tripot, et vous faites de beaux vers monsieur le philosophe.
Je vous en félicite et vous en remercie. Les prêtres d'Isis n'ont pas beau jeu avec vous, l'archevêque de Memphis vous lâchera un mandement et les jésuittes de Tanis vous demanderont une rétractation. Qu'est donc cette Adelle dont vous parlez? esce qu'il y a eu une Adelle?

Comment ce Lambert n'a t-il pas imprimé l'article que je vous avais envoyé pour luy, et dont je luy avais adressé un double? Le maroufle ne m'a pas seulement envoyé un exemplaire de sa rapsodie. Il n'y à guère de libraire qui ne méritât le pilori.

Dites moy je vous prie ce que devient mr Helvetius. J'aurais un peu à me plaindre de son livre si j'avais plus d'amour propre que d'amitié. Je suis indigné de la persécution qu'il éprouve.

Non seulement l'article en question est imprimé dans la seconde édition des Crammer, mais il a excité la bile des vieux pasteurs de Lausane. Un prêtre, plus prêtre que ceux de Memphis a écrit un libelle à cette occasion, les ministres se sont assemblez, ils ont censuré les trois bons et honnêtes pasteurs que j'avais fait signer en votre faveur. Je les ai tous fait taire. Les avoiers de Berne ont fait sentir leur indignation à l'auteur du libelle contre la mémoire de votre illustre père, et nous sommes demeurez, votre honneur et moy, maîtres du champ de bataille. Au reste je suis devenu laboureur, vigneron et Berger. Cela vaut cent fois mieux que d'être à Paris homme de lettres. Je vous embrasse du fonds de mon tombau et de mon bonheur.

V.