1758-11-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élie Bertrand.

Vous vous y prenez un peu tard mon cher amy.
Mr de Boisi et mr de Montperoud m'ont desséché, l'un en me vendant sa terre, l'autre en m'empruntant ce qui me restait. Cependant il ne faut pas abandonner son ami qui veut faire une bonne œuvre. Je vole donc à mes charpentiers et à mes massons cinquante louis d'or que je vous envoye en une lettre de change que Panchaud tirera sur Lyon. Je suis très affligé de ne pouvoir faire mieux; je suis fâché aussi de ne pouvoir faire mieux pour le cuistre qui a imprimé ce libelle dans le mercure suisse. Il mérite une correction plus sévère, et ses insolences doivent être réprimées. Tout le monde sait icy aussi bien que luy que le père des Saurins de France avait fait quelques fredaines il y a 70 ans. Mais par quelle frénésie les réveille t'il? pourquoy attaquer les morts et les vivants? de quel droit taxer d'irréligion un homme qui fait un acte très relligieux en sauvant l'honeur d'une famille? Vos ministres de Lausanne qui en veulent un peu à notre ami Polier se sont conduits avec luy dans cette affaire très indécemment, et il a eu trop de molesse. C'était là une occasion où il devait montrer de la fermeté.

Je vous prie de présenter mes très humbles et très tendres remerciments à mr le baron de Freydenrick qui a bien voulu m'honorer de ses bons offices au sujet des droits des seigneuries du pays de Gex. Je ne luy écris point de peur de le fatiguer d'une lettre inutile, mais il agréera avec sa bonté ordinaire les sentiments de reconnaissance que j'aurai pour luy toutte ma vie, et qui en auront plus de prix en passant par votre bouche. Ne m'oubliez pas auprès de madame de Freydenrick.

On est très content des sept articles que vous avez envoiez pour l'enciclopédie: je m'y attendais bien.

Adieu mon cher ami, quand vous viendrez me voir dans mon hermitage de Fernei vous y trouverez des jesuites qui sont plus riches que vous, mais qui ne sont pas si savants.

Je vous embrasse.

V.