1758-10-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Elisabeth Anne Lordelot.

Madame,

Votre lettre m'a fait relire le petit article qui regarde m. Jouvenet.
Je vois qu'il y est regardé comme un bon peintre, quoique inférieur en quelques parties à Le Brun. Il est vrai qu'il avait quelquefois un coloris un peu jaune; et ce léger défaut est moindre que celui de Le Brun et du Poussin qui étaient souvent beaucoup trop rembrunis. Les septs sacrements du Poussin sont devenus si noirs qu'ils ne sont plus beaux aujourd'hui que dans les estampes. Chaque peintre, comme chaque écrivain, a ses défauts. Je serais très mortifié de compter parmi les miens celui de ne pas rendre justice aux grands talents. J'ai appelé m. Jouvenet bon peintre; c'est un éloge que je confirmerai toujours, et je me ferai un devoir, à la première occasion, d'ajouter tout ce qui pourra servir à sa gloire et plaire à sa fille, dont j'ai reconnu tout le mérite dans la lettre dont elle m'honore.

Je suis avec respect, madame, votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire