à Roüen ce mardi [6 or 13 January 1733]
Vous avés mandé, à mr de Cidville, mon cher ami, que vos incomodités vous empêchoint de m’écrire, et c'est Là un malheur Bien sensible pour moy que de vous voir malade et de n'avoir point de vos Lettres; ne travaillés point tant Car comme tous vos travaux sont de La tête c'est ce qui vous tue.
Les travailleurs de mémoire vivent cent ans sans Le moindre accès de migraine [. . .], et j'aime mieux voir moins de vos ouvrages, quelque plaisir qu'il me fassent, que de Courir le Risque que l'autheur en souffre.
Je sçay les tracasseries et les qui pro quo que vous avés essuyés, tout cela est pitoyable. La dernière du privilège vient à coup seur des Libraires de Paris et je ne conçois pas comment Mr R. a doné dedans.
Nous allons donc voir vos nouvelles Lettres, vous allés peindre Les Anglois et vous saurés Répandre sur ce sujet un peu sombre toutes Les grâces et La Légèreté du Coloris françois. Toutes Les nations ont deux faces. Ceux qui Disent des françois qu'ils sont Légers et frivoles ont Raison et Ceux qui les Représentent Comme un peuple plein de naturel et d'enjouement n'ont pas Tort. Ce double tableau peut avoir Lieu à l’égard des Anglois. Un homme de mauvaise humeur pouroit dire d'eux ainsi,
Mais en jugeant plus sainement il faut Convenir que Le Bon sens et le grand sens Règnent particulièrement sur Cette nation, et Comme il faut Bien avoir quelques défauts Les défauts des Anglois sont d'estre tristes parceque Leur caractère est sérieux et ceux des François dont Le caractère est guay est d'estre extravagant.