aux Délices 21 juin [1758]
Premièrement mon divin ange Le confident Tronchin fera sa principale occupation de ménager mon bonheur c'est à dire de vous attirer à Lyon, et je veux absolument croire qu'il en viendra à bout.
Quant à la négociation d'un très aimable ambassadeur je n'en connais pas de plus facile et je vous aurai la plus grande obligation à vous et à luy du petit mot en général qu'il veut bien avoir la bonté de dire de luy même. Il peut très aisément et sans se compromettre encourager les sentiments favorables qu'on me conserve, il peut faire regarder comme une chose honnête et même honorable de revoir un ancien camarade en poésie, en académie et non pas en visage. Il y a du mérite, il y a de la gloire à faire certaines actions, et tout cela peut être représenté sans être mandié, et sans autre dessein que de vouloir échaufer dans le cœur d'un homme qui se pique de sentiments, les bontez dont votre aimable ambassader luy donne L'exemple. C'est d'ailleurs un plaisir de dire à un autheur, que je suis un des plus ardents partisans de sa pièce, et que je la prône partout. Je ne veux point qu'on me donne une loge. Je ne veux rien mais je désire ardemment que votre ancien ami parle à votre ancien ami comme vous parleriez vous même, et je vous prie de remercier d'avance votre ambassadeur.
Il faut que je vous confie mon cher ange que je vais passer quelques jours à la campagne chez Mgr L'Electeur Palatin. Je laisserai mes nièces se réjouir et aprendre des rôles de comédie pendant ma petite absence. Je ne peux remettre ce voiage. Il faut que pour mon excuse vous sachiez que ce prince m'a donné les marques les plus essentielles de sa bonté, qu'il a daigné faire un arrangement pour ma petite fortune et pour celle de ma nièce, que je dois au moins l'aller voir et le remercier. Monsieur l'abbé de Bernis a bien voulu m'envoyer de la part du Roy un passe port dans le quel sa majesté me conserve le titre de son gentilhomme ordinaire, de façon que mon petit voiage se fera avec touts les agréments possibles. J'aimerais mieux je vous en répons en faire un pour venir remercier madame la princesse de Robec de la bonté qu'elle a de m'acorder son suffrage. Elle a bien senti que rien ne devait être plus glorieux et plus consolant pour moy. C'est à vous que je dois l'honneur de son souvenir et c'est par vous que mes remerciments doivent passer. Adieu mon cher et respectable amy, je pars dans quelques jours, et à mon retour je ne manquerai pas de vous écrire.
V.