à Lausane 22 janvier [1758]
J'ai reçu votre lettre du treize mon cher et respectable ami, mais rien de Mr de Choiseuil.
J'ay présumé par ce que vous me dites qu'il s'agissait d'obtenir un congé pour M. son fils blessé et prisonier. Je doute fort que le Roy de Prusse voulût à ma chétive recommandation s'écarter des idées qu'il s'est prescrittes, et je suis d'autant moins àportée de luy demander une pareille grâce pour mr de Choiseuil, que je luy écrivis il y a huit jours en faveur d'un genevois qui est dans le même cas, et qui probablement restera estropié à Mersebourg.
Mais le roy de Prusse a une sœur qui doit avoir quelque crédit auprès de luy, et à qui je puis tout demander. Je luy ay écrit de la manière la plus pressante, et je luy ai recommandé Monsieur le marquis de Choiseuil comme je le dois. Ne doutez pas qu'elle n'en écrive au Roi son frère. Il ne doit luy rien refuser. Je crois que le roy de Prusse peut s'amuser actuellement à faire des grâces. Il n'y a pas moyen de se battre avec six pieds de neige. Aussi Shwednits n'est pas pris, mais j'ay toujours grande peur que M. de Richelieu ne se trouve entre les hanovriens et les prussiens. On se moque de tout cela dans votre Paris, et pourvu que les rentes de l'hôtel de ville soient payées, et qu'on ait quelques spectacles, on se soucie fort peu que les armées périssent. La chose peut pourtant devenir sérieuse, et vos sibarites peuvent un jour gémir.
Pour moy mon cher ange qui ne m'occupe que des siècles passez je ne crois pas devoir cette année m'exposer au refus de la médaille. Qui diable a imaginé cette médaille? On ne l'aurait pas donnée à l'auteur de Britannicus qui n'eut que 5 représentations, et on l'aurait donnée à l'auteur de Régulus. Fy donc! il n'y a de médailles que celles que la postérité donne. Il faut un ami comme vous pour le temps présent, et de baux vers pour l'avenir. Mais je suis plus sensible à votre amitié qu'aux vains aplaudissements de quelque connaisseur obscur qui poura dire dans cent ans, vraiment ce drôle là avait quelque talent.
Mille respects à me Dargental et à tout ange.
V.