à Lausane 12 janvier [1758]
Il n'y a plus guères d'autodafé, et il y a fort peu de fé. Mon cher philosophe, vous ne serez point brûlé.
Nos amis Servet et Antoine ont été les derniers chez certains sauvages qui sont devenus depuis fort polis. Mais si on vous prépare des fagots avertissez moy. Nous viendrons ma nièce et moy éteindre le feu avec nos seringues. Je conçois que le neveu du frère de made Tensin aurait pu se dispenser de faire la profession de foy des gens. Mais il me semble autant qu'il peut m'en souvenir qu'il y a du christ dans son affaire. Or dès qu'il y a du christ, il n'y a plus personne à faire ardre. Je n'ay point le livre, je l'ay prêté. Tout le monde se l'arrache. Je n'ay encor vu personne qui fût fâché, on rit sous cap, comme vous, et moi je me tais. Dans le fonds de quoy vous plaignez vous? et que craignez vous? les trois quarts de l'Angleterre, tous les états du roy de Prusse, la moitié de la Hollande pensent et parlent comme Geneve. Voudriez vous faire votre cour à des gomaristes? à vos ennemis personels, aux assassins des ayeux de votre femme, aux meurtriers de Barnevelt, aux lâches scélérats qui osent justifier l'abominable meurtre de Servet et d'Antoine? Que ceux qui pensent comme Socrate, parlent comme Socrate, et qu'ils ne craignent point la cigüe. Vous n'êtes fait pour servir, ny les sots ny les fanatiques. Laissez faire dans l'esprit humain la révolution qui se prépare, menez vos gens avec votre prudence ordinaire. Gagnez du temps, du temps, du temps, et ensuitte qu'on fasse… rien. C'est l'avis d'un homme qui aime tendrement deux choses excellentes, la vérité, et vous.
V.
Voilà donc l'archevêque de Paris exilé en Perigord pour avoir interdit des filles. Interdire c'est empêcher de parler, et traitter ainsi des filles est d'un fou.