à Lausane 20 [xbre 1757] au soir
Vous savez mon cher monsieur la nouvelle victoire du Roi de Prusse, les cinquièmes jours du mois luy sont favorables.
M. le maréchal Keith, qui m'écrit du huit, au milieu de ses montagnes, ne me mande point que les prussiens aient repris Breslau comme on le dit.
Ce qu'il y a de plus triste et ce que je ne veux pas croire, c'est qu'une lettre de l'armée de Richelieu parle aussi d'une bataille que nous venons de perdre contre les hanovriens. Si malheureusement cette nouvelle se confirme, voylà cent mille hommes et deux cent milions de perdus comme dans la guerre de 1741. Dans ces circomstances malheureuses vous m'avouerez que les affaires générales seraient plus difficiles à ajuster que des billets de confession. Peutêtre le résultat de tant de vicissitudes, sera que la cour de France aurait pu donner la paix il y a quatre mois, et ne poura pas même la recevoir dans deux.
Dieu veuille que la nouvelle de la prétendue défaitte de M. de Richelieu soit sans fondement et que les proféties de madame la markgrave soient fausses. Ses desseins sont plus agréables que ses proféties. Elle ne respire que la paix. Le cahos serait beau à débrouiller. Il serait bien rare de s'accomoder avec le roy de Prusse sans se brouiller avec L'impératrice, et de rester maître de Hanovre sans avoir à craindre le roy de Prusse. Mais je crois que les Dossat et les Richelieux auraient peine à résoudre un tel problème. Le temps qui en sait plus qu'eux tous, le résoudra, mais il y a sur les bords de notre Rône et près de la catédrale, où vous n'allez point, un homme qui peutêtre est le seul capable dans l'Europe de voir et de faire ce qui est convenable. J'ose penser que cet homme sage attendra. Il sait qu'on n'accomode guères les procez que quand les deux parties n'ont plus d'argent pour plaider.
Me voicy à Lausane toujours sur les bords de mon lac, dans une maison charmante qui même pourait se passer de vos baguettes dorées que j'attens. J'y jouis d'un repos que je souhaitte à qui conque est sur le Veser, sur l'Elbe ou sur L'Oder. Ma nièce et moy nous vous embrassons de tout notre cœur.