1757-12-13, de Jean Baptiste François de La Michodière à Voltaire [François Marie Arouet].

Je suis extrêmement sensible, Monsieur, à la façon polie et obligeante avec la quelle vous avez bien voulu répondre à la Lettre que j'ay eu l'honneur de vous écrire.
Il me parait démontré que la Ville de Clermont ne contient qu'environ 20 mille habitans, et que ceux qui en portaient le nombre jusqu'à 45 mille s'en raportaient à des propos vagues qui n'avaient aucun fondement. J'ay fait depuis la réception de votre Lettre un dépouillement très exact du rolle du vingtme des maisons de Clermont et du rolle de la capitation; J'ay fait aussi un relevé de toutes les maisons religieuses et des Ecclésiastiques qui sont en assez grand nombre, et je vois que tout revient àpeuprès au calcul de 34 qui me parait très juste pour les villes où il y a des Communautés Religieuses, des séminaires et des collèges; Mais je crois qu'il ne faudrait multiplier que par 33, peut être même par 32, dans les Bourgs et petites Villes où il n'y a ni Etrangers ni Communautés. J'en ay fait l'expérience sur quelques petites Villes d'Auvergne, et en y multipliant l'année commune des naissances par 34, j'ay trouvé que les feux donneraient plus de 6 personnes l'un portant l'autre: au lieu qu'en multipliant par 33 j'ay trouvé 5 et 6 personnes par feu.

Le dénombrement de la Ville de Clermont fait en 1718 dont vous me faites l'honneur de me parler, est assurément très fautif. Je n'avais pas de connaissance de ce dénombrement et personne ne se souvient dans cette Ville d'y avoir vu travailler. Je vous envoye le relevé très exact du nombre des feux, de celui des maisons ainsi que des chapitres et communautés Religieuses. J'y joint l'Etat des Baptêmes partagé par moitié depuis 1677 jusqu'à présent et qui est plus exact que celui que je vous ay envoyé précédemment, parce que j'ay ay ajouté les enfans trouvés qui m'avaient d'abord échapé.

Rien ne me flatte d'avantage, Monsieur, que la bonne idée que vous avez bien voulu concevoir de moy et je désirerais la mériter. Je m'étais fait un plan de dénombrement de la Province d'Auvergne que j'aurais exécuté en plusieurs années et dont j'aurais pû tirer quelques lumières, soit pour la milice, soit pour les Impositions. Mais je quitte dans peu de tems cette Province, le Roy m'ayant fait la grâce de me nommer à l'Intendance de Lyon. Je seray occupé dans cette grande ville d'objets bien plus importants et je sens mieux que personne tout ce qui me manque pour m'en bien acquitter. J'espère que ma bonne volonté et le désir que j'ay de bien servir le Roy et d'être utile à mes concitoyens, me tiendra lieu de tout autre mérite. Je compte me rendre sur les derniers jours de ce mois à Lyon pour y former mon établissement. Je voudrais que le voisinage me fût un titre pour entretenir relation avec vous: je vous en demande la permission et vous prie d'être persuadé du désir que j'ay de pouvoir vous y être utile à quelque chose.

J'ay l'Etat exact des Baptêmes et mariages d'environ 50 petites Villes, Bourgs et Villages de l'Auvergne depuis 1680. J'ay vu par ces états que quoique la population fût diminuée dans quelques Paroisses, elle est augmentée dans le plus grand nombre, et si je juge de tout le Royaume par l'Auvergne, il y a augmentation de peuple depuis le dénombrement de M. de Vauban: ce qui ne s'accorde pas avec ce que j'ay lu dans beaucoup de livres nouvellement imprimés sur cette matière. Il est vray que la révocation de l'Edit de Nantes n'a fait aucun tort à cette Province dont les habitans ont toujours été attachés à la religion catholique, et que depuis 30 ans tous les Intendants qui ont été chargés de son administration ont réussi à former dans les Villes et dans les Campagnes des établissemens de petites manufactures, qu'ils y ont introduit une main d'œuvre inconnue jusqu'alors, et c'est je crois le plus sûr moyen d'augmenter la population.

Je me reproche le tems que je vous fais perdre par un détail qui ne peut vous toucher que par l'intérêt que vous prennés à tout ce qui peut contribuer au bien de la société; mais il me procure l'avantage de vous assurer du respect avec lequel j'ay l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

De la Michodiere