aux Délices 1^er octobre [1757]

Vraiment je n'ay point eu cette lettre que vous m'écrivîtes huit jours après m'avoir envoyé les mémoires de Hubert.
Il se perdit dans ce temps là un paquet de courier de Lyon sans qu'on ait pu jamais savoir ce qu'il est devenu. Les amants et les banquiers sont ceux qui perdent le plus à ces avantures. Je ne suis l'un ne l'autre, mais je regrette fort votre lettre; nous avons depuis longtemps mon ancien ami celle de Federic au très aimable et très humain conjuré anglais réfugié gouverneur de Neufchatel. Je vous assure que j'en reçois de baucoup plus singulières encore et de luy et de sa famille. J'ay vu bien des choses extraordinaires en ma vie. Je n'en ay point vu qui approche de certaines choses qui se passent et que je ne peux dire. Ma filosofie s'affermit et se nourit de touttes ces vicissitudes. Vous ai-je mandé que M^r et mad^e de Montferrat sont venus icy bravement faire inoculer un fils unique qu'ils aiment autant que leur propre vie? Mesdames de Paris voylà de beaux exemples. Madame la comtesse de Toulouse ne pleurerait pas aujourdui M. le duc Dantin, si on avait eu du courage. Un fils du gouverneur du Perou qui sort de mon hermitage me dit qu'on inocule dans le pays d'Alzire. Les parisiens sont vifs, et tardifs.

Ce ne sont pas les auteurs de l'enciclopédie qui sont tardifs. Je croi le septième tome imprimé et je l'attends avec impatience. La cour de Petersbourg n'est pas si prompte. Elle m'envoye touttes les archives de Pierre le grand. Mais elles ne sont pas encor parties. Je n'ay reçu que le receuil de tous les plans, et un de médaillons d'or grands comme des patènes.

Je vous assure que je suis bien flatté que les descendants de Lisois soient contents de ce qui m'est échapé par cy par là sur leur respectable maison. Nous autres badauts de Paris nous devons chérir les Montmorencis par dessus touttes les maisons du royaume. Ils ont été nos déffenseurs nez. Ils étaient les premiers seigneurs sans contredit de notre ile de France, les premiers officiers de nos rois et presqu'en tout temps les chefs de la gendarmerie roiale. Ils sont aux autres maisons, ce qu'une belle dame de Paris est à une belle dame de province, et en qualité de parisien et de barbouilleur de papier j'ay toujours eu ce nom en vénération. Ce serait bien autre chose si je voiais la bauté auprès de la quelle vous avez le bonheur de vivre.

Quel est donc ce paquet que vous m'envoyez contre signé Bouret? Je voudrais bien que ce fût un paquet russe, car j'ay actuellement plus de correspondance avec la grande Permie et Arcangel qu'avec Paris. Est il vray que M^r Bouret n'a plus le portefeuille des fermes générales, et qu'il est réduit à ne plus songer qu'à son plaisir? Bon soir, je vous quitte pour aller planter

Au moins je radotte heureusement, et je finis plus tranquilement que je n'ay commencé.

Vale amice.

le Suisse V.