au Chene à Lausane 9 septbr[1757]
Mon cher téologien, mon cher philosofe, mon cher ami vous avez donc voulu absolument qu'on répondît à la lettre du mercure de Neuf Chatel.
Mr Polier de Bottens qui méditait de son côté une réponse, vient de m'aprendre qu'il y en a une qui paraît sous vos auspices. Il m'a dit qu'elle est très sage et très modérée. Cela seul me ferait croire qu'elle est votre ouvrage. Mais soit que vous ayez fait cette bonne action, soit que j'en aye l'obligation à un de vos amis, c'est toujours à vous que je dois mes remerciments. Je liray un journal pour l'amour de vous, et je ne lirai que ceux où vous aurez part. Il n'y a plus qu'une chose qui m'embarasse: vous savez avec quelle indignation tous les honnêtes gens de la ville voisine des Délices avaient vu l'écrit au quel vous avez daigné faire répondre. Je leur avais promis non seulement de ne jamais combattre cet adversaire, mais d'ignorer qu'il existât. Je vais perdre toutte la gloire de mon silence et de mon indiférence. On verra paraitre une réfutation, on m'en croira l'auteur, ou du moins on pensera que je l'ay recherchée. On dira que c'est là le motif de mon voiage à Lausane. Ajoutez je vous en supplie à votre bienfait celuy de me permettre de dire que je ne l'ay point mendié. Que votre grâce soit gratuite comme celle de Dieu. Puisque la lettre est remplie, dit on, de la modération la plus sage, n'est il pas juste qu'on en fasse honneur à l'auteur? Boyleau se vanta en prose et en vers d'avoir eu Arnaud pour apologiste. Ne pourai-je pas prendre la même liberté avec vous? Je pars demain pour ma petite retraitte des Délices, j'espère que j'y trouverai vos ordres. J'ay besoin de quelque preuve qui fasse voir que je n'ay pas manqué à ma parole. Une chose à la quelle je manquerai encor moins, c'est à la reconnaissance que je vous dois.
Il parait que Mr de Paulmi n'a point perdu sa place et que le colonel Janus n'a point gagné de victoire. Les fausses nouvelles dont nous sommes inondez, sont assurément le moindre mal de la guerre.
Comme j'allais cacheter ma lettre, je reçois la vôtre, vous me mettez au fait en partie. Il y a un petit fouà Genève, mais aussi il y a des gens fort sages. J'aurais bien voulu que Mr de Bachi eût été votre voisin, c'est un homme fort aimable, philosophe, instruit, on en aurait été bien content.
Il faut que je présente une requête par vos mains à monsieur le banneret de Freydenrik, protecteur de mon hermitage du Chene. Mr le docteur Tronchin m'a deffendu le vin blanc. Mr le bailli de Lausane a toujours la bonté de me permettre que je fasse venir mon vin de France. Mais àprésent que je suis dans la ville, il me faudra un peu plus de vin, et je crains d'abuser de l'indulgence et des bons offices de Mr le bailli. Quelques personnes m'ont dit qu'il fallait obtenir une patente de Berne. Je crois qu'en toutte affaire le moins de bruit que faire se peut, est toujours le mieux. Je m'imagine que la permission de M. le bailli doit suffire. Ne pouriez vous pas consulter sur mon gozier M. le b. de Freydenrik? Je voudrais bien pouvoir avoir l'honneur d'humecter un jour dans la petite retraitte du Chene les goziers de mr et de me de Freudenrik et le vôtre; je retourne demain matin aux Délices voir mes prez, mes vignes et mes fruits et mener ma vie pastorale. C'est la plus douce et la meilleure. Je vous embrasse tendrement.
Ve