aux Délices 31 mai [1757]
Je vous dirai d'abord, ma chère nièce, que vous avez une santé d'athlète, dont je vous fais de très sincères compliments, et que si jamais votre vieux malingre d'oncle se porte aussi bien que vous, il viendra vous trouver à Ornoi: ensuite vous saurez que madame Denis était chargée d'envoyer trois cents livres à d'Aumart dans sa province du Maine quand il a débarqué chez vous, lui, son fils, et deux bidets.
Je vous prie de lui dire que je lui donnerai trois cents livres tous les ans à commencer à la st Jean prochaine. Je vous enverrai un mandat à cet effet sur m. de Laleu, ou vous pourrez avancer cet argent sur les revenus du pupille et sur la rente qu'il me fait. Cela est à votre choix. J'ignore ce qui convient au jeune d'Aumart; je sais seulement que cent écus lui conviendront. Trouvez bon que je m'en tienne à cette disposition que j'avais déjà faite. Madame Denis embellit tellement le lac de Genève qu'il reste peu de chose pour les arrière cousins. Quant à ma bâtarde de Fanime, son protecteur m. d'Argental, vous dira que je ne prétends pas que cette amoureuse créature se produise sitôt dans le monde. Melle de Ponthieu y fait un si grand rôle et ses compagnes se présentent avec tant d'empressement qu'il faut ne se pas prodiguer. Quand même la pièce vaudrait quelque chose, ce ne serait pas assez de donner du bon, il faut le donner dans le bon temps.
A vous maintenant monsieur le capitaine des chariots de guerre de Cirus. Vous pouvez être sûr que je n'ai jamais écrit de ma vie à m. le maréchal d'Estrées, et que s'il a été instruit de notre invention guerrière, ce ne peut être que par le ministère. J'aurais souhaité pour vous et pour la France que mon petit char eût été employé. Cela ne coûte presque point de frais. Il faut peu d'hommes, peu de chevaux; le mauvais succès ne peut mettre le désordre dans une ligne. Quand le canon ennemi fracasserait tous vos chariots, ce qui est bien difficile, qu'arriverait il? Ils vous serviraient de rempart, ils embarrasseraient la marche de l'ennemi qui viendrait à vous. En un mot cette machine peut faire beaucoup de bien, et ne peut faire aucun mal. Je la regarde, après l'invention de la poudre, comme l'instrument le plus sûr de la victoire.
Mais pour saisir ce projet, il faut des hommes actifs, ingénieux, qui n'aient pas le préjugé grossier et dangereux du train ordinaire. C'est en s'éloignant de la route commune, c'est en faisant porter le dîner et le souper de la cavalerie sur les chariots avant qu'il y eût de l'herbe sur la terre, que le roi de Prusse a pénétré en Bohème par quatre endroits, et qu'il inspire la terreur.
Soyez sûr que le maréchal de Saxe se serait servi de nos chars de guerre.
Mais c'est trop parler d'engins destructeurs pour un pédant tel que j'ai l'honneur de l'être.
On a imprimé dans Paris une thèse de médecine où l'on traite notre Esculape Tronchin de charlatan et de coupeur de bourse. Il y a répondu par une lettre au doyen de la faculté, digne d'un grand homme comme lui. Il y répond encore mieux par les cures surprenantes qu'il fait tous les jours.
Une jeune fille fort riche a été inoculée ici par des ignorants, et est morte. Le lendemain vingt femmes se sont fait inoculer sous la direction de Tronchin, et se portent bien.
Je vous embrasse tous du meilleur de mon cœur.