1756-08-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Il me semble monseigneur que touttes les lettres adressées à mon héros doivent luy être rendues, et que Messieurs de la poste de Compiegne auraient pu vous renvoier à Marseille la lettre que je vous adressai à la cour, quand vous eûtes donné ce bel assaut.
Mais apparemment que L'on n'aime pas les mauvais vers dans ce pays là. Il se peut aussi que les directeurs de la poste vous aient attendu à Compiegne de jour en jour et vous attendent encore. Je ne ressemble point au général Blakney, je ne peux sortir de ma place. La raison en est que je suis assiégé par une file de médecines dont le docteur Tronchin m'a circomvenu. Que n'ai-je un moment de force et de santé! Je partirais sur le champ, je viendrais vous voir dans votre gloire, je laisserais là toutte ma famille qui se passerait bien de moy dans mon hermitage.

Vous croiez bien que j'ay un peu interrogé le voiageur dont vous me parlez, et vous devez vous en être aperçu quand je vous mandais que ce n'était pas des seuls anglais que vous triomphiez. Vous avez comme tous les généraux essuié les propos de l'envie et de l'ignorance. Souvenez vous comme on traittait le maréchal de Villars avant la journée de Denain. Vous avez fait comme luy, et on se tait, et on admire, et l'entousiasme que vous inspirez est général. On a mal attaqué, disait on, il fallait absolument envoié mr de Valliere pour tirer juste. Au milieu de tous ces baux raisonements arrive la nouvelle de la prise. Voilà jusqu'àprésent le plus beau moment de votre vie. Qu'est il arrivé de là? qu'on ne vous conteste plus le service que vous avez rendu à Fontenoy. Portmahon confirme tout et met le sceau à votre gloire. Il se poura bien faire que vous ne soyez pas le premier dans le cœur de la belle personne que vous savez, mais vous serez toujours considéré, honoré, et je vous regarde comme le premier homme du royaume. C'est une place que vous vous êtes donnée et que rien ne vous ôtera. Il me pleut de tous côtez de mauvais vers pour vous. Vous devez en être excédé. Pour vous achever il faut que je prenne aussi la liberté de vous envoier ce que j'écrivais ces jours cy à mon petit Desmahis. Ce Desmahis est fort aimable. Vous ne vous en soucierez guères, vous avez bien autre chose à faire.

Nous sommes tous icy aux pieds de notre héros.

V.