aux Délices 31 mars [1756]
Ce n'est pas à vous que j'écris ma grosse nièce, c'est à monsieur Tronchin, et je lui dis O Esculape Apollon, tandis que les habitans de Paris vous dressent des autels recevez ma chandelle, tandis que vous déracinez des préjugez et que vous inoculez nos princes, que tout le monde court après vous, soufrez que je vous remercie de n'avoir point dédaigné le marais et d'avoir bien voulu faire des miracles à Capharnaüm comme à Jerusalem.
Tronchin, fils de Tronchin, cousin de Tronchin, soyez béni. Nous ne parlons que de vous quand on vient dîner aux Délices. Chaque genevois partage votre gloire, mais on craint que vous n'en jouissiez trop longtemps. Nous sommes vos admirateurs et vos obligez madame Denis et moy, mais nous n'avons pas été vos duppes, et quand nous vimes à Monrion votre chaise de poste nous ne nous laissâmes pas de juger qu'on ne court point la poste en chaize en Allemagne. Sachez que votre puissance diminue comme l'attraction à mesure que les distances augmentent. Votre vertu s'est éloignée de moy et je suis retombé. Il est vray que nous avons été dans la nege jusqu'aux oreilles après avoir eu un mois d'été et que la bise m'a tué, mais ce n'est pas votre faute. Souvenez de moy et que le baron de Grancourt ne m'oublie pas dans ses quolibets.
Je vous prie donc ma chère nièce de donner à monsieur Tronchin cette rapsodie que je vous écris.
Je fais des vœux pour que vous veniez tous ensemble au mois de juin, mais je n'y ai pas de foy. Madame Denis prendra avec vous des engagements positifs quand ce bienheureux moment sera proche.
Mille compliments à votre frère, à votre fils, etc.
Je vous embrasse de tout mon cœur
V.