à Monrion, 17 mars [1756]
Ma chère enfant, je savais, il y a longtemps, qu'Esculape Tronchin était à Paris, et j'ai été fidèle à un secret qu'il ne m'avait pas dit.
Je le déclare indigne de sa réputation, s'il ne vous donne pas un cul et des tétons. Vous ferez très bien de venir avec messieurs Tronchin et Labat. Une femme ne peut se damner en voyageant avec son directeur, ni se mal porter en courant la poste avec son médecin.
Votre frère a donc quitté son pot à beurre pour vous; et il va soutenir la cause du grand conseil contre les gens tenant la cour du parlement. Nous l'embrassons tendrement, votre sœur et moi. Nous comptions aller faire un petit tour à Lyon pour la dédicace du beau temple dédié à la comédie, que la ville a fait bâtir moyennant cent mille écus. C'est un bel exemple que Lyon donne à Paris, et qui ne sera pas suivi. Mais l'autel ne sera prêt, et on ne pourra y officier qu'à la fin de juin. Nous viendrons, ou vous recevoir à Lyon, ou nous vous y reconduirons des petites Délices du lac. Enfin nous nous verrons, et tout s'arrangera, et je dirai tout est bien.
C'est Satan qui a fait imprimer l'ébauche de mon sermon. J'ai dans un accès de dévotion augmenté l'ouvrage de moitié, et j'ai pris la liberté de raisonner à fond contre Pope, et de plus très chrétiennement. Il y a sans doute beaucoup de mal sur la terre, et ce mal ne fait le bien de personne, à moins qu'on ne dise que votre constipation a été prévue de dieu pour le bonheur des apothicaires. Je souffre depuis quarante ans, et je vous jure que cela ne fait de bien à personne. La maladie de m. de Séchelles ne fera aucun bien à l'état. Pour la comédie de La Noue, elle lui fera quelque bien, quoiqu'on dise qu'elle ne vaut pas grand'chose.
Votre sœur se donne quelquefois des indigestions de truite, et fait toujours sa cour à Alceste et à Admette. Je fais de mon côté de la mauvaise prose et de mauvais vers. Je griffonne quelques articles pour l'Encyclopédie; je bâtis une écurie; je plante des arbres et des fleurs; et je tâche de rendre l'ermitage des Délices moins indigne de vous recevoir. Je vous embrasse tendrement, vous et les vôtres, et frère et fils, et vous recommande un cul et des tétons, ma chère nièce.