1756-02-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Sophia Friderika Wilhelmina von Preussen, margravine of Bayreuth.

Madame,

Vous êtes de ces divinités qui ne sont faites que pour répandre des grâces.
On dit de dieu qu'il ne fait point le mal, mais qu'il le permet.

Mme la princesse de Passau Saarbruck a envoyé à Paris certain ouvrage sur la religion naturelle et je peux jurer à votre altesse royale que je n'en avais jamais donné de copie qu'à vous seule. Le roi votre frère ne s'est jamais dessaisi de l'original. C'était un poème très informe, je l'ai beaucoup corrigé depuis, et voici comment il commence:

Souveraine sans faste et femme sans faiblesse,
Vous dont la raison mâle et la ferme sagesse
Sont pour moi des attraits plus chers, plus précieux
Que ces feux séduisants qui partent de vos yeux,
Digne ouvrage d'un dieu, connaissons notre maître, etc.

Après ce petit début, votre altesse royale ne peut manquer de prendre le sermon et le prédicateur sous sa protection. Le roi votre frère ajoute à sa gloire qui semblait ne pouvoir plus croître; il fait des traités qui valent mieux que des victoires, il écarte les étrangers de sa patrie, il affermit le trône des autres et il assure le sien. Ce n'est pas tout, il m'envoie ma Mérope tournée par lui en opéra. Tout cela est beau, mais il manque de m'aimer.

Que votre altesse royale daigne s'amuser d'un autre sermon que j'ai l'honneur de lui envoyer, qu'elle juge entre Pope et moi. Je souhaite que tout soit bien à jamais pour elle. Je me mets aux pieds de monseigneur et aux vôtres avec le plus profond respect et le zèle éternel de

Frère Voltaire