A Bruxelles, le 26 septembre 1742
Votre altesse royale saura que voilà ma destinée auprès d'elle. Je reçus, il y a environ un an, un petit paquet fort joli de sa part avec une lettre du philosophe m. de Superville. Je partais pour Paris, précisément dans le moment que je reçus ce témoignage de ses bontés; je prends à témoin Apollon, les neuf muses et la grande divinité de la reconnaissance, que je fis sur la route un nombre très considérable de mauvais vers, lesquels je joignis, en arrivant à Paris, à quatre pages de prose; je portai l'énorme paquet moi même à la grande poste de Paris, et je le recommandai avec tant d'empressement, qu'on crut apparemment qu'il contenait de grands mystères. Les curieux furent confondus sans doute, mais, madame, c'est moi qui le suis par ce qui me revient aujourd'hui. J'apprends que votre altesse royale n'a reçu ni prose ni vers, et qu'elle me croit avec raison un barbare, paresseux, sans aucune connaissance de ses premiers devoirs.
Rendez moi justice, madame, songez combien il est impossible d'oublier vos bontés, et croyez que non seulement j'eus l'honneur d'écrire à votre altesse royale, mais que je serais venu la remercier dans ses états si ma destinée m'avait permis de faire cet agréable voyage. Non, madame, je n'oublierai jamais la princesse philosophe, la protectrice des arts, la musicienne parfaite, le modèle de la politesse et de l'affabilité. Le roi, votre très auguste et très amusant frère, m'ordonna, il n'y a pas longtemps, de lui faire ma cour à Aix-la-Chapelle; je le vis, madame, se portant comme un héros, se moquant des médecins et se baignant pour son plaisir; je ne trouvai rien de changé en lui que son visage que j'avais vu, il y a deux ans, un peu affilé par la fièvre quarte, et qui est devenu d'une rondeur qui sied très bien avec une couronne de lauriers; deux victoires de plus ne l'ont rendu ni moins humain, ni moins affable. Je ne cesserai, madame, de regretter les jours où j'ai eu l'honneur de faire ma cour à votre altesse royale et à sa majesté, dans la retraite de Rheinsberg; les bontés dont m'honora monseigneur le margrave me seront toujours présentes, et tout ce que je souhaite, c'est de pouvoir encore jouir au moins une fois en ma vie du même honneur.
Je suis, avec le plus profond respect, madame, de votre altesse royale le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire