1752-04-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Georg Conrad Walther.

J'ay ouï dire que son Altesse Roïale, madame la princesse royale n'avait pas été contente d'un passage du livre que j'ay pris la liberté de lui envoyer.
C'est à la page 484: on vit bientôt combien il est difficile à un faible prince, etc.

On sait assez que faible prince ne signifie pas prince faible. Un prince faible est tel par son caractère, et un faible prince l'est par la comparaison de ses forces avec celles de son ennemi.

D'ailleurs son altesse royale est trop juste et trop indulgente pour n'être pas persuadée de la pureté de mes intentions. Elle ne pense pas que j'aye voulu luy déplaire dans un livre que j'ay mis à ses pieds. J'ay la même confiance dans les bontez de son Excellence Monsieur le comte de Wakerbath, à qui j'ay présenté un exemplaire par vos mains. Si cependant ce passage déplaît je vous prie de le corriger au moyen d'un carton. Vous mettriez à la place: 'il était bien difficile qu'un prince dont les forces étaient si inférieures à celles de son ennemi, et qu'un empereur qui ne put jamais armer l'empire en sa faveur, pût conquérir des états par le secours de ses alliez souvent désunis'.

Je vous prie mon cher Walther de communiquer cette lettre à Monsieur le comte de Wakerbath et de prendre sur cela ses ordres.

J'eus l'honneur d'envoyer mon livre à son altesse royale longtemps avant que vous le rendissiez public, àfin que s'il s'était glissé quelque chose qui pût luy déplaire, j'eusse le temps de le corriger; et je croiais que vous ne mettriez votre livre en vente qu'après la foire de Francfort. C'est dans le même esprit que j'en envoyai des exemplaires à la cour de Baviere.

En cas que vous fassiez ce carton mon cher Walther, je vous prie d'en mettre encor un autre au second tome, page 103, à la fin de la page. Voicy ce qu'il faut substituer après ce mot parce que:

'parce que la base de sa statue à la place des victoires est ornée de quatre esclaves enchainez; mais ce ne fut point luy qui fit ériger cette statue, ny celle qu'on voit à la place de Vendôme. La statue de la place des victoires est le monument de la grandeur d'âme' etc.

Je vous demande pardon mon cher Walther de la peine que je vous donne, mais une première édition n'est qu'un essay. Il échape toujours à l'auteur baucoup de fautes. Je me flatte que la seconde édition sera baucoup plus ample, plus correcte, et meilleure en tout sens. Je vous embrasse de tout mon cœur.

V.