aux Délices près de Genêve 1er Décembre 1755
Je dicte, mon cher ange, mes très-humbles et très-tendres remerciments, car il y a bien des jours que je ne peux pas écrire.
Je vous avais envoyé le paquet pour l'Académie avant d'avoir reçu la lettre par la quelle vous m'avertissiez de la noble et scrupuleuse attention de messieurs des Postes. Je profitterai dorénavant de votre avis. Je vous assûre qu'on vous en a donné un bien faux quand on vous a dit que je faisais une nouvelle Tragédie. Le fait est, que made Denis avait promis Zulime à messieurs de Lyon: mais comme Mr le Cardinal votre oncle ne va pas aux spectacles, la grosse made Destouches se passera de Zulime.
Ceux qui ont imprimé la rapsodie dont vous avez la bonté de me parler, ont bien mal pris leur temps. L'Europe est dans la consternation du jugement dernier arrivé dans le Portugal. Genêve ma voisine y a plus de part qu'aucune ville de France; elle avait à Lisbonne une grande partie de son commerce. Cette avanture est assurément plus tragique que les orphelins, et les Méropes. Le tout est bien de Mathieu Garo et de Pope est un peu dérangé. Je n'ose plus me plaindre de mes coliques depuis cet accident: il n'est pas permis à un particulier de songer à soi dans une désolation si générale. Portez-vous bien vous, made d'Argental, et tous les anges; et tâchez de tirer parti, si vous pouvez, de cette courte et misérable vie. Je suis bien fâché de passer les restes de la mienne loin de vous. S'il y a quelques nouvelles sur Jeanne, je vous supplie de ne me laisser rien ignorer. Ah Jeanne il faudra vous f, finir.
Je vous embrasse bien tendrement.
V.