1755-11-23, de Jean Louis Dupan à Suzanne Catherine Freudenreich.

… Mr de Voltaire n'est point allé à Montrion, il étoit prêt à partir lorsqu'on lui manda que celui qui occupoit la maison y étoit très dangereusement malade, et hors d'état d'en sortir, cette maladie dura six semaines, et ne finit que par la mort.
Mr de Voltaire a fait beaucoup de plantations à St Jean, il y fait encor diverses réparations, et de petits bâtiments, ces occupations l'y amusent et l'y retiennent. Je lui ferai savoir les dispositions de mr le Banderet à son égard, cela lui fera grand plaisir.

On dit que la Pucelle a été imprimée en plusieurs endroits à la fois, et vraisemblablement elle ne sera pas la même par tout. On dit que les ennemis de Voltaire y ont fait des additions de choses propres à le décrier, et qu'il désavoüe fortement. Me de Pompadour a lu au Roy la copie que lui a envoyé Voltaire, il en court nombre d'autres copies à Paris, on n'y trouve que le badinage d'un homme d'esprit, rien contre la religion, ni d'injurieux à personne. Mr de Montperoux qui l'a lüe en entier m'en a parlé sur le même ton. Cependant on a écrit ici de Berne que tout le monde se récrioit à l'impiété en lisant ce Poëme, sans doute que c'est une des copies que Voltaire désavoüe, nous en jugerons puis que vous avez la bonté de nous l'envoyer. Je vous en remercie. Mr de Voltaire ayant apris que cet ouvrage s'imprimoit avec des additions scandaleuses qui ne sont pas de lui, a prié le conseil de ne pas permettre qu'il fût vendu à Genève, et au contraire de le proscrire; En attendant qu'on en puisse juger par la lecture de quelque exemplaire, on a défendu aux Libraires d'en vendre avant qu'il eût été examiné.

Nos enfans sont revenus de Morillon, on y a laissé George avec grand regret, tous se portent bien et vous assurent de leurs respects.

Du 24. Je n'ay point de lettre de l'Excellence. J'ai reçu votre paquet, dont je vous remercie encor.

Nous avons eu aujourd'hui la plus terrible des nouvelles. Le 1er de ce mois la ville de Lisbonne a été renversée, pr les huit neuvièmes, par un tremblement de terre, le 4 Mr de Baschi fit partir un courier extr. pr Versailles, où il est arrivé en 14 jours. Le Roy de Port. habitoit encor dans les champs avec sa famille, logez dans des carosses. Le tremblement commença à 9 heures du matin et dura cinq ou six minutes, l'ambassadeur d'Espagne fut écrasé en sortant de sa maison. On croît qu'il y a péri cent mille âmes; pour comble de malheur la ville étoit tout en feu, on ne sait s'il s'y est ouvert un Volcan, ou si le feu des cheminées à causé l'incendie; on ne parle point du port. Ce tremblement de terre s'est fait sentir le même jour en plusieurs villes d'Espagne, et jusqu'à Bourdeaux; à Cadix les eaux du port ont inondé une partie de la ville, quelques maisons ont été renversées, il y a péri environ 200 personnes. C'est ce même jour qu'on a senti quelques secousses à Amsterdam et à Milan.

Il faut que le désordre ait été terrible, puisque le Ministre de France n'a écrit que le 4, et qu'il donne si peu de détails. Adieu, Madame, je suis à vous de toute mon âme.