1755-10-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je n'ay point répondu mon ancien ami aux belles exhortations que vous me faittes sur cette vieille folie de trente années que vous voulez que je rajeunisse.
J'attends que je sois à l'âge au quel Fontenelle a fait des comédies. Il n'est permis qu'à un jeune homme ou à un radoteur de s'occuper d'une pucelle. Colonne à l'âge de soixante et quinze ans commenta l'Aloisia. Mais il y a peu de ces grandes âmes qui conservent si longtemps le feu sacré de Prométée. Il y a d'ailleurs un petit obstacle à l'entreprise que vous me proposez, c'est que L'ouvrage n'est plus entre mes mains. Je m'en suis défait comme d'une tentation. Je me suis mis gravement à juger les nations dans une espèce de tableau du genre humain au quel je travaille depuis longtemps, et je ne me sens pas l'agilité de passer de la salle de Confucius à la maison de madame Pâris. J'ay lu les mémoires de madame de Stall, elle parait plus occupée des événements de la femme de chambre que de la conspiration du prince de Cellamare. On dit que nous aurons bientôt les mémoires de mademoiselle Rondel, fille suivante de madame de Stal. Vous ne pouviez vous défaire de vos anglais et de vos italiens en de meilleures mains qu'en celles de mr le comte de Lauraguais. Le vieux Protagoras ou Diagoras du Marsai m'a répondu de luy. Je vous embrasse de tout mon cœur.

V.