1755-08-06, de Jean Jallabert à Charles de Brosses, baron de Montfalcon.

Monsieur,

… Mr de Voltaire vient d'avoir une scène qui a fait assés d'éclat.

Un nommé Grasset lui aiant fait offrir de lui vendre un exemplaire de son poème de la Pucelle, Mr de Volt. lui dit qu'il souhaitoit le voir. Grasset alla chés lui et au lieu du m. ne lui porta qu'une vingtaine de vers tirés du 14me chant et qui contenoit des choses très fortes contre la religion. Mr de Voltaire, après divers propos, prétendit qu'il n'étoit pas l'auteur de ses vers et voulant engager Grasset à lui livrer le manuscrit, ils s'animèrent l'un l'autre au point que Mr de V. lui mit la main sur le col et appela ses gens qui firent sortir Grasset. Celui-ci en porta ses plaintes à Mr le p. g. et Mr de Vol. se rendit chez Mr le Rési. qui, incontinent, dénonça à M. le lieut. le sieur Grasset comme possesseur de vers pleins d'impiétés et injurieux au Roi, etc. On mit Grasset en prison où il a demeuré 24 h. Mais comme on a eu copie de ces vers et même de divers chants, nos ministres ont prié le Cl d'en arrêter le cours, et qui engagea hier Mr de Volt. d'écrire une lettre très forte au Cl pour désavouer ses vers et se plaindre de Grasset, etc. Le Conseil les fera brûler aujd'hui par la main du bourreau. Il est très possible qu'on ait ajouté aux vers de Mr de Voltaire, déjà propres à émouvoir la bile, des choses encore plus fortes que celles qu'il a écrites et je crois qu'il feroit à prést un sacrifice considérable pour anéantir tout vestige de ce poème ou, du moins, pour pouvoir le corriger au point d'être produit avec bienséance. Si vous communiqués cette anecdote, ne me només pas. Je suis avec le plus respectueux attachement,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Jalabert