à Compiègne, ce 7 juillet 1755
J'ay, monsieur, des avis certains de Genève que Voltaire doit envoyer incessament à Thiérot une copie manuscrite et complète du poëme de la Pucelle;vous sçavez toutes les craintes affectées que Voltaire et madame Denis marquent depuis longtemps que cet ouvrage ne perce dans le public par l'infidélité prétendue d'un domestique chez qui nous avons eu la complaisance d'envoyer faire des recherches infructueuses.
Aujourd'hui, c'est Voltaire luy-même qui en envoye une copie. Peut-on présumer que ce soit à autre intention que pour la faire imprimer par celui qui a déjà été plus d'une fois le complice de ses friponneries littéraires? C'est ce qu'il est, je crois, important d'approfondir, en usant à cet effet de la prudence et des précautions dont vous êtes capable. Faites donc examiner Thiériot avec soin et vous découvrirez par là dans ses allures l'usage qu'il fera du mss. en question, qu'il doit ou avoir maintenant reçeu, ou qu'il recevra certainement dans peu de jours. Je ne doute pas qu'il ne voye à cette occasion quelque libraire. Vous connoissez ceux qui sont capables de se charger d'une pareille besogne, soit Lambert, qui a été l'impr de confiance de Voltaire, soit quelque autre. Peut-être aussy Thiériot, avant de donner l'ouvrage à l'imprimeur, voudra-t-il en faire faire une seconde copie, et, en ce cas les démarches qu'il faudra qu'il fasse pour avoir un copiste n'échapperont pas à votre vigilance. Si vous faites quelques découvertes dans ce genre, je suis persuadé que vous ne laisserez pas échapper l'occasion de saisir l'ouvrage, et de faire mettre à la Bastille ceux qui s'en trouveroient chargés. Comme je compte toujours que nous nous verrons dimanche, si d'icy là vous ne parvenez pas au but que je vous propose, nous nous entretiendrons alors des mesures que vous aurez prises et de ce que vous espérerez de leur succès.