[c. 25 February 1761]
Madame,
Je suis très flatté dans un sens des nouvelles marques de politesse, par les quelles pourtant vous me rendez toujours moins de justice sur ce que je mérite peu, et recherche encore moins; mais quel que puisse être le fruit de tant d'avis de ma part donnés jusqu'à présent à pure perte selon toutes les tristes apparences d'une opiniâtreté propre à me faire verser des larmes de sang, je crois devoir ajouter encore, et c'est pour la dernière fois que sans mieux m'arrêter au fait du curé de Moëns, que pour esquiver uniquement et ne pas vouloir trancher le nœud gordien, l'on ne cesse de rebattre jusqu'à la lassitude la plus outrée, sans me croire à beaucoup près éludé, ni me laisser faire illusion par là; j'ai le cœur percé de douleur, et je vois toujours avec un nouveau regret que votre oncle mr de Voltaire s'obstine à vouloir malheureusement périr dans un âge où tout peut lui échapper à chaque instant; mais si la juste punition peut être du mauvais emploi de tant de riches talents l'aveugle au point de s'étourdir sur le triste sort de l'humanité qui fait que nous sommes aujourd'hui, et que nous disparaissons demain; qu'il soit pourtant bien convaincu, qu'un peu plus tôt, ou un peu plus tard, toutes mes lettres lui seront présentées un jour au tribunal de Jesus Christ son maître et le mien; j'y paraitrai comme lui, ou peut-être à côté de lui, et nous y serons tous exactement jugés selon nos œuvres; mais bien plus sévérement encore sur l'abus doublement criminel, et en tout sens inexcusable de certaines grâces de choix qui nous auront été offertes par une miséricorde rare qui n'aura plus de lieu.
J'ai l'honneur d'être avec bien du respect et avec des sentiments sans mélange, du zèle le plus pur madame &c.