Au château de Ferney le 1er 8bre 1763
Je vous remercie monsieur du plus court et du meilleur livre qu'on ait écrit depuis longtemps; la raison et l'éloquence l'ont dicté; on ne peut y répondre que par du fanatisme et du galimatias; je ne doute pas que votre archevêque ayant comme vous beaucoup d'esprit et de lumière ne soit entièrement de votre avis dans le fond de son cœur; il est trop bon citoien pour soutenir une absurdité qui ruinerait l'état, des systèmes établis dans des temps de ténèbres doivent disparaître dans notre siècle; et vous aurez la gloire d'avoir détruit le plus pernicieux de tous les préjugés.
Il faut avouer que nous avons encore beaucoup de lois absurdes et contradictoires; on les doit à l'esprit monacal qui a régné trop longtemps, il est également triste et honteux pour nos tribunaux d'être réduits à éluder ce que sans doute ils voudraient abolir, mais on trouve la superstition en possession de la maison, on n'ose pas l'en chasser tout à coup, et on se contente d'y loger avec elle.
Ce que vous dites des cinq talents qui doivent en produire cinq autres m'a toujours frappé mais j'avoue que cet intérêt à cent pour cent m'avait paru un peu trop fort. Cela fait voir qu'il y a bien des choses qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre.
Il est très vrai monsieur que mrs Tronchin et Camp me donnent quatre pour cent du peu d'argent qu'ils ont à moi. Mr le cardinal de Tencin en tirait cinq et si m. votre archevêque fait bien il en tirera autant attendu qu'au bout de l'année il donnera aux pauvres vingt et un mille livres au lieu de vingt mille.
Je crois monsieur que vous ne ferez pas mal d'envoyer un exemplaire de votre ouvrage à mr Rousseau, auteur du Journal encyclopédique à Bouillon. Vous pouvez le lui adresser sous l'enveloppe de Mr Naudet, secrétaire de mr de Trudaine, et par dessus sous celle de Mr de Trudaine, conseiller d'état, intendant des finances en son hôtel à Paris; il lui parviendra sûrement. J'ai l'honneur d'être monsieur avec toute l'estime que je vous dois votre très humble et obéissant serviteur
Il serait fort à souhaiter que votre libraire envoyât plusieurs exemplaires à Geneve.
Voltaire gent. orde de la ch. du roi