5e juillet 1769
Mon cher ami, mon cher philosophe, vos Lettres valent beaucoup mieux que tous les rogatons que je vous ai envoiés.
J'aurais dû être un peu moins vôtre bibliothécaire, et plus vôtre correspondant. Je serais bien curieux de savoir la vérité de l'histoire de vôtre médecin italien. J'ai peur qu'il ne soit doublement charlatan. S'il lui prenait fantaisie de voir Geneve je vous avoue que je serais curieux de m'entretenir avec lui.
Je ne sais pas trop ce que sera le Cordelier Ganganelli; tout ce que je sais c'est que le cardinal de Bernis l'a nommé Pape, et que parconséquent ce ne sera pas un Sixte quint. C'est bien dommage, comme vous le dites, qu'on ne nous ait pas donné un brouillon. Il nous fallait un fou, et j'ai peur qu'on ne nous ait donné un homme sage. Plût à Dieu qu'il ressemblât au pontife de la Tragédie que je vous envoie! Les abus ne se corrigent que quand ils sont outrés. Je vous demande en grâce de ne montrer cette Tragédie à personne avant de m'en avoir dit vôtre avis. Elle ne sera pas jouée sans doute, car les magistrats ne sont pas encor assez raisonnables, et il n'y a point d'acteurs. Tout tombe en décadence, excepté l'opéra comique qui soutient la gloire de la patrie.
Adieu, mon cher ami. Dites moi vôtre avis, gardez moi le secret, et aimez moi.